La confidentialité des avis des juristes d’entreprise est plus que jamais primordiale selon l’AFJE

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L’Association Française des Juristes d’Entreprise (AFJE) considère que la nouvelle mandature politique est le moment idéal pour enfin avancer sur la question de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise.

Alors qu’un nouveau quinquennat a débuté avec une future Assemblée nationale recomposée, l’AFJE veut faire entendre sa voix pour enfin faire reconnaître la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, son combat de toujours. Rappelons que des avancées significatives ont longtemps laissé espérer une issue favorable sur ce sujet lors de la précédente mandature : rapport Gauvain proposant la protection de la confidentialité des avis juridiques en entreprise avec la création d’un statut d’avocat en entreprise, projet d’avocat en entreprise  avec une expérimentation de l'avocat salarié en entreprise dans la loi Dupond-Moretti, lequel ne sera finalement pas repris dans le texte soumis au vote du parlement.

 « Il est absolument important de porter à nouveau le sujet de la confidentialité des avis des juristes d'entreprises dans le contexte très particulier que nous vivons tant sur le plan économique que géopolitique si nous voulons une filière juridique forte si nous voulons des entreprises françaises capables de relever les défis. Après 12 rapports, après plusieurs dizaines d'années de réflexion et une tentative avortée via l'avocat en entreprise. Il est temps de le faire ! » estime Jean-Philippe Gille, président de l’AFJE.

« C'est incompréhensible que nous nous retrouvions dans un état de sous-développement juridique par rapport à nos pays concurrents »

Pour l’AFJE, les juristes d'entreprise œuvrent pour la protection des entreprises au service de l'intérêt général, puisque ce sont les entreprises qui créent la richesse, et que les politiques d’aménagement de la France procèdent de la capacité à contribuer aux finances publiques.

Le juriste d’entreprise serait au cœur de l’écosystème de droit. Ne pas reconnaître la confidentialité des avis des juristes d’entreprise conduirait donc à affaiblir la filière juridique. La question ne serait plus une question corporatiste, mais de souveraineté et d’attractivité.

L’association considère que la France devient isolée sur ce sujet. « J’aimerais bien que l'on puisse me répondre quand mon avocat américain ne veut pas me transférer mes dossiers alors que je suis son supérieur hiérarchique au motif que je vais rompre la chaîne de la confidentialité comme on rompt la chaîne du froid », affirme le président de l’AFJE.

Or, la confidentialité pourrait être une barrière pour lutter contre l’instrumentalisation de l’extraterritorialité du droit de certains pays comme les États-Unis, et plus récemment la Chine.
« Alors que 80 % des entreprises françaises viennent d'achever l'intégration de leurs programmes de conformité, elles vont rentrer dans la phase de gestion et vont découvrir qu’elles sont dans un état de faiblesse », alerte Jean-Philippe Gille.

Aujourd’hui, les juristes d’entreprise ne veulent plus attendre. « Nous avons toujours soutenu les projets qui permettaient d’avoir la confidentialité. Nous avons soutenu le projet d’avocat en entreprise tout comme nous avons soutenu les avocats lors du débat sur leur secret professionnel. Nous ne pouvons désormais plus attendre », assure le président de l’AFJE.

Réciprocité des armes

L’article 9 de la loi Sapin 2 prévoit une peine pénale pour celui qui rompt la confidentialité dans le cadre de la gestion des alertes. « Comment allons-nous pouvoir œuvrer sans l'outil de la confidentialité ? », interroge Jean-Philippe Gille. « Je préférerais que notre pays soit un pays fort juridiquement. C'est incompréhensible que nous nous retrouvions dans un état que je qualifierais de sous-développement juridique par rapport à nos pays concurrents » renchérit le président de l’AFJE. Et de rappeler que l’outil existe en Allemagne, en Espagne, en Belgique ou encore en Angleterre.

Tristan Carayon, Legal manager chez Value Retail et membre du bureau, ajoute que la « réciprocité des armes » est importante : « les anglo-américains croient en la réciprocité des dispositifs, la réciprocité des armes. Nous sommes respectés qu’à partir du moment où l’on se dote des mêmes outils et des mêmes armes ». Une illustration en est faite par le RGPD. C’est parce que l’Europe s’est dotée de cet outil juridique que la Californie, par exemple, a adopté un dispositif similaire.

Cette situation pourrait d’abord conduire à un transfert d’honoraires vers des cabinets d’avocats étrangers. Ensuite, les juristes d’entreprise français pourraient être tentés d’aller à l’étranger.

Transfert de souveraineté de l’État vers les entreprises

Autre élément à prendre en considération : on assiste à un transfert de souveraineté de l’État vers les entreprises, selon l’AFJE. Ainsi, les juristes d’entreprise doivent mettre en place des plans de conformité dans le cadre de la loi Sapin 2. D’un côté, il y a une responsabilité pénale du juriste qui peut être engagée. De l’autre, il n’y a pas la protection conférée par la confidentialité des échanges.
En outre, beaucoup d'entreprises ont fait face à des cyberattaques extrêmement rudes et notamment russes pour certaines dans le contexte de la guerre contre l’Ukraine. « Les entreprises deviennent aujourd'hui des cibles de guerre ». Par conséquent, nombreuses sont celles qui travaillent avec l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information).  « Nous avons compris qu'il y avait besoin d'un partenariat public-privé pour être plus forts ».

Des garanties pour rassurer

L’un des blocages possibles est la position des autorités de régulation et d’enquête qui ne sont pas favorables au legal privilege. Sur ce point, l’association entend rassurer et rappelle que l’AFJE s’est dotée d’un code de déontologie. Elle est prête à aller plus loin dans cette démarche : « l’organisme qui gérerait la profession de juriste d'entreprise pourrait comporter des magistrats dans son organisme de sanctions, à l’instar de l'institut belge des juristes d’entreprise ». 

La balle est désormais dans le camp du législateur. S’il ne se saisit pas de ces questions, alors même que l’AFJE a déjà trois propositions de texte à soumettre et que la Cour de cassation vient de donner un signal positif en la matière, « les entreprises iront chercher les outils qui permettront de se protéger » prévient le président de l’AFJE.

Arnaud Dumourier (@adumourier 


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