La gouvernance des cabinets d'avocats

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Régis Fabre, Managing Partner Baker & McKenzie ParisLa bonne gouvernance d’un cabinet d’avocats vise les mêmes finalités que dans toute entreprise, à savoir : qualité de l’offre par rapport à la concurrence, gain de parts de marchés, gestion des ressources humaines pour disposer des meilleures équipes, rentabilité… Par Régis Fabre, Managing Partner Baker & McKenzie Paris

C’est dans ses modalités que la gouvernance des cabinets d’avocats se distingue. Les modèles varient, en fonction notamment de l’organisation juridique, entre des structures fortement centralisées et des organisations où l’autonomie locale est importante. Dans les organisations où les bureaux ne sont que des succursales, les décisions sont souvent prises au siège, à des degrés divers ; la vision stratégique du cabinet, comme la microdécision opérationnelle, peuvent être arrêtées à des milliers de kilomètres du lieu de mise en œuvre.

Dans les organisations où les bureaux sont juridiquement autonomes, le degré de centralisation des pouvoirs peut encore varier. Dans certains cabinets, nationaux notamment, tous les pouvoirs sont locaux. Dans les réseaux internationaux, ou les fédérations de bureaux au contraire, l'ossature de ce que l'on nomme la Firme vise à re-centraliser certaines décisions relatives, par exemple, à l'homogénéité de la marque, à la gestion des dossiers des clients majeurs du réseau… ; il s'agit d’offrir une prestation de qualité homogène d’un pays à l’autre.

Dans les faits, aucune règle ne s’impose véritablement. Quels que soient la forme juridique et le type d’organisation, la personnalité du Managing Partner crée le style de gouvernance.

La vraie originalité et la difficulté de la gouvernance des cabinets d'avocats résident dans l’importance du pouvoir individuel des associés. En effet, un cabinet d'avocats ressemble un peu à une coopérative de production dans laquelle les associés sont à la fois actionnaires et commerciaux, directeurs de départements et producteurs du service. Naturellement, ils s’impliquent dans la gouvernance du cabinet. Les risques de divergence sont d'autant plus réels que les personnalités sont fortes et légitimées par la reconnaissance du marché. La bonne gouvernance consiste donc d'abord à coordonner, puis à rassembler les initiatives pour que tous les associés orientent leurs efforts dans la même direction.

Le pouvoir individuel de l'associé réside traditionnellement dans les relations privilégiées qu’il crée avec les / ses clients et dans la constitution d’une équipe fidèle. La relation avec ses clients étant généralement fondée sur l’intuitu personae, si un associé quitte un cabinet, ses clients peuvent avoir envie de le suivre, de même que son équipe. Son "book of business" lui permet donc d'être accueilli par la concurrence. Cela peut se produire en cas de divergences sur les valeurs ou le projet du cabinet.

Pour fidéliser ses associés, le management du cabinet doit fédérer autour de valeurs, d’une culture et d’un projet d’entreprise. N’oublions pas également que les jeunes générations, au-delà du sentiment d’appartenance à une marque, ont besoin de sens et d’adhésion à un projet commun et porteur. Le management du cabinet doit donner à tous une vision et la décliner en projet stratégique.

L’ensemble de la communauté des associés doit être impliquée dans la construction, dans le débat de ce plan stratégique afin qu’il soit adopté largement. Le management pourra alors s’appuyer sur un socle solide pour exécuter des décisions issues d’une vision partagée et donc moins sujette à remise en cause.

L’exigence de qualité dans les prestations des services ne peut pas aller sans une bonne gestion des relations humaines. Celles-ci sont complexes entre associés, mais elles le sont aussi avec les collaborateurs ; avec ces derniers, elles sont cruciales puisqu'ils contribuent fortement à la délivrance du produit final au client. Là encore, la gouvernance doit favoriser le développement des talents avec des systèmes de formation, de supervision, d’évaluation de la performance et de rémunération adéquats.

Le système de rémunération à lui seul peut engendrer des comportements qui influent sur les performances et qui imprègnent souvent profondément la culture du cabinet et la qualité du travail. Les systèmes de lockstep, avec une rémunération en principe égale pour tous les associés, fondée sur l'ancienneté favorisent théoriquement le cross-selling et le partage de la connaissance (knowledge). Chacun a en effet intérêt à faire travailler les autres et de préférence les plus compétents. Dans la pratique, ce système peut aussi contribuer à générer de la sous-performance ou des niveaux variables d’investissement personnel. Le système "eat what you kill" permet à l’inverse de mieux lier la rémunération à la contribution et au développement individuel. Dans les faits, ce système génère des comportements plus égocentriques, acceptables en période de croissance, mais plus problématiques en période de crise et ne favorisent pas la création d’une culture de cross-selling ou de partage des connaissances.

Le cabinet peut aussi jouer sur des "incentives" pour garder ses associés sur le long terme : pensions de retraite, indemnités liées aux clients apportés versées en fin de carrière, etc… ou des freins : pénalités, délais, clause de non-concurrence, arbitrage, etc…

Le niveau de supervision des collaborateurs par les associés constitue un autre élément essentiel de l'identité d'un cabinet car il affecte la qualité de ses prestations. La bonne gouvernance consiste dans ce domaine à maintenir un équilibre raisonnable dans l'effet de levier (nombre de collaborateurs par associé), de telle sorte que jamais la qualité ne puisse être sacrifiée sur l'autel de la rentabilité… Certains l’oublient parfois, au détriment de la qualité, et ce d’autant plus que les assurances permettent désormais d’assurer ce risque. Cette attitude privilégie le court-terme et l'image du cabinet qui n'y prêterait pas suffisamment attention en pâtit forcément.

Enfin, la performance des collaborateurs - et donc leur formation - conditionne évidemment aussi la qualité des prestations rendues aux clients. Comme dans toute entreprise de services, les cabinets doivent placer leurs collaborateurs au cœur de leur projet et les former afin qu’ils soient de bons techniciens, de bons managers, sachant répondre aux attentes des clients, développent l'activité, mais aussi pour les motiver en leur offrant des perspectives de carrière intéressantes.

En ce qui concerne la formation des juniors, les associés ont un rôle majeur à jouer et le management du cabinet doit l’encourager. Contrairement à l’enseignement dans les universités anglaises qui, en utilisant la méthode socratique, cherche à faire raisonner les étudiants, l’apprentissage dans les universités françaises recherche d’abord l’accumulation des savoirs, pas forcément le raisonnement. L’utilisation désormais répandue de bases de données informatisées renforce ces tendances et influe aussi sur la recherche. Par le passé, le jeune avocat se rendait à la bibliothèque du cabinet où, en discutant avec ses collègues et les documentalistes, il pouvait reformuler sa question pour aboutir à une recherche fine et intelligente et à des résultats utilisables. Aujourd'hui, seul devant son ordinateur, le jeune collaborateur a plus de difficultés à formuler les questions auxquelles ses recherches doivent répondre et il obtient de ce fait des résultats moins satisfaisants. Enfin, le système des diplômes supérieurs (à l’exception du DJCE plus généraliste) encourage trop tôt la spécialisation des jeunes avocats ! Ils sont certes des experts dans leur domaine, mais ils ont parfois plus de mal quand ils sont confrontés à une problématique juridique d'envergure à en discerner toutes les facettes qui touchent à des domaines qui ne sont pas directement le leur. Si un jeune avocat travaille sur une problématique sociale, il doit aussi être capable de détecter les enjeux comptables, fiscaux et alors passer le relais à un expert.

Le management doit donc favoriser la formation continue des avocats en s’assurant que les associés contribuent à former les jeunes à raisonner, à passer d’un domaine du droit à l’autre. Bien entendu, la qualité d'un avocat ne repose pas que sur ses qualités techniques ; la formation du collaborateur à des qualités humaines et managériales repose sur l'imitation de l'associé auprès duquel il intervient. L’avenir de nos cabinets dépend du modèle que les associés veulent bien ainsi présenter aux générations des jeunes collaborateurs.

En conclusion, la gouvernance d'un cabinet d'avocats n'est pas un exercice aisé. Si le Managing Partner doit occuper pleinement sa fonction et exercer tous les pouvoirs que lui confère l’organisation du cabinet qu’il dirige, il ne doit pas être dupe car son pouvoir réel est en vérité souvent faible. Chercher à construire une vision et générer un réel enthousiasme pour entrainer le cabinet dans l'exécution d'un plan stratégique et d'orientations claires est son vrai challenge.

Il devra en outre maintenir l’équilibre entre l’ensemble des intérêts, des associés et des collaborateurs, apportant à chacun son aide pour qu'il s'épanouisse dans le cabinet et permette à ce dernier d'atteindre ses objectifs : vaste programme nécessitant de trouver une troisième voie entre le consensus fédérateur, mais peu innovant et la décision tranchée, mais potentiellement facteur de division. Voie étroite.

Régis Fabre, Managing Partner Baker & McKenzie Paris


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