Cabinets parisiens : faut-il s'installer en province ?

Avocat
Outils
TAILLE DU TEXTE

A l’examen des statistiques, nous serions tentés de répondre qu’il semble y avoir peu de raisons pour lesquelles un cabinet parisien d’avocats d’affaires irait ouvrir un ou des bureaux secondaires en province. Ils sont en effet rares à tenter l’aventure. Bien plus de cabinets parisiens ont des bureaux à Shanghai qu’à Marseille !

En posant la question de l’opportunité d’une expansion en direction de la province, nous avons découvert que le marché du droit en France est probablement dans une phase de mutation. Après des décennies d’un parisianisme poussé, les mentalités changent pour s’adapter à un tissu économique mouvant dans lequel le phénomène de régionalisation poussé par l’Europe n’est pas sans incidences.

Etat des lieux

Si un client requiert les services d’un grand cabinet, il n’a qu’à venir à Paris. De manière un peu caricaturale, c’est ainsi que pourrait se résumer la situation actuelle. Il est vrai que depuis vingt ans, il y a une telle concentration du droit des affaires entre les mains des cabinets anglais et américains et aucun de ces cabinets
ne dispose de bureaux français en dehors de Paris à l’exception notable du cabinet anglais Bird & Bird qui a ouvert un bureau à Lyon en 2007. Certes, CMS Bureau Francis Lefebvre dispose aussi d’un bureau à Lyon mais celui-ci existait alors que le cabinet était encore entièrement français avant qu’il ne s’intègre dans CMS.

La centralisation très poussée qui existe en France depuis toujours n’incite pas les états-majors de ces structures internationales à intégrer une expansion régionale en France dans leurs plans de développement. Par  comparaison, plusieurs cabinetsanglais ou américains ont deux ou trois implantations en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Dans ces pays beaucoup plus " régionalisés ", une présence à Francfort et à Berlin ou à Rome et à Milan est indispensable pour assurer une couverture correcte du tissu économique et pour suivre une clientèle de multinationales sur leurs différents marchés.

Il faut sans doute mettre dans une catégorie à part, Fidal qui est un cas unique avec sa couverture totale du territoire et sa présence dans près de cent villes françaises ainsi que les autres structures d’avocats rattachés aux grands acteurs de l’audit et de l’expertise comptable que sont Landwell et Associés (PriceWaterhouseCoopers) et TAJ (Deloitte) dont le modèle économique a toujours intégré la notion de proximité avec les grandes entreprises et les PME.

Un examen plus hexagonal du tissu des cabinets d’avocats d’affaires nous permet de remarquer que les cabinets français et parisiens sont à peine plus nombreux que leurs homologues anglo-saxons à s’aventurer dans les lointaines contrées que sont tous les départements de France autres que le 75 et le 92. En effet, plus de 90% des cabinets parisiens de plus de quinze associés sont dans ce cas. De quoi résulte cette frilosité parisienne ? Est-elle le fruit d’une sage analyse économique confirmant que les bons clients et les bons dossiers sont à Paris et nulle part ailleurs ? Est-elle simplement la conséquence d’un complexe de supériorité bien parisien ? Nous avons cherché à répondre à ces questions et, ce faisant, nous avons constaté que les choses changent.

La technologie redistibue les cartes

L’explosion d’Internet, des nouvelles technologies de l’information ou encore des biotechnologies ont non seulement bouleversé la façon dont nous travaillons, mais elles ont donné naissance à une nouvelle génération d’entreprises. Il n’y a pas si longtemps, une success story se construisait sur trente ou quarante ans, peut-être
plus. Aujourd’hui, Google a à peine dix ans. De petites entreprises aux innovations prometteuses attirent des investissements colossaux, rachètent des concurrents ou sont introduites en bourse. Autant de domaines, autant de questions juridiques complexes, de montages sophistiqués jusqu’alors réservés aux très grandes entreprises.

Si certains cabinets parisiens ont décidé de mettre des villes de province sur leurs écrans radar, ces PME innovantes n’y sont pas étrangères. Le cas de Bird & Bird illustre parfaitement cette réflexion. Avec 14 bureaux dans le monde, 157 associés et 638 collaborateurs (chiffres 2007), Bird & Bird est un cabinet qui a plus de 150 ans d’existence. Ce cabinet n’a pas le profil habituel pour ouvrir un bureau secondaire en France en dehors de Paris. Or, le fait d’avoir été créé en 1848 n’a pas empêché Bird & Bird de développer une expertise particulière dans les domaines de l’innovation technologique, qu’il s’agisse de technologie aéronautique et spaciale, de communications, de commerce électronique ou de technologie médicale.

" Bird & Bird croit à une stratégie axée sur les PME très innovantes surtout dans l’informatique, les jeux et les biotechnologies ", explique Frédérique Dupuis-Toubol, Managing Partner du bureau de Bird & Bird à Paris depuis sa création en 2000. Elle précise sa pensée en indiquant qu’elle place dans cette catégorie les entreprises avec des effectifs moyens jusqu’à 250 personnes.

Lyon et la région Rhône-Alpes se sont alors naturellement trouvées dans la ligne de mire de cette stratégie de développement. Cette région, marquée par sa tradition d’excellence dans les industries de pointe et notamment pharmaceutique, est en effet le berceau de très nombreuses entreprises innovantes. Lyon dispose aussi d’un emplacement géographique exceptionnel et est remarquablement desservie sur le plan national et international par le train et l’avion. " Nous croyons que sur les cinq ans qui viennent, beaucoup d’entreprises étrangères et notamment anglaises vont s’implanter à Lyon. C’est une région très dynamique avec une qualité de vie très agréable et un immobilier attractif ", poursuit Frédérique Dupuis-Toubol.

La technologie était aussi un élément clé dans le choix du cabinet Vaughan qui vient d’ouvrir un bureau à Sophia-Antipolis, le pôle technologique de la Côte d’Azur. Ce cabinet parisien récemment créé en 2005 rassemble des associés expérimentés de spécialités diverses dont Isabelle Renard qui jouit d’une solide réputation dans le droit des nouvelles technologies. Pour cette structure de 11 associés et de 25 collaborateurs, l’expansion en province faisait partie du business plan depuis la création du cabinet. Le bureau de Sophia-Antipolis est le deuxième cabinet secondaire après Toulouse en 2006. Ce dernier a été ouvert pour offrir à certains clients du cabinet des compétences expertes en matière de mobilité internationale et de droit des nouvelles technologies. Depuis son ouverture en 2006, il a aussi permis un fort développement auprès d’une nouvelle clientèle implantée localement. " La régionalisation de l’Union Européenne change la donne. La profession d’avocat n’a pas encore pris la mesure de ces changements ", nous dit Isabelle Smith Monnerville, associée de Vaughan, pour expliquer l’orientation stratégique prise par son cabinet et le fait que ses confrères soient encore peu nombreux à faire ce choix.

Des avocats qui connaisent le terrain

Bignon Lebray & Associés, 40 associés et 75 collaborateurs, est un cas rare dans le paysage des cabinets d’avocats français. Créé il y a vingt cinq ans, le cabinet s’est rapidement doté d’une implantation régionale sur quatre pôles : Paris, Lille (1990), Lyon (1992) et Aix–Marseille (1993). Depuis, cette politique de proximité auprès des clients fait partie intégrante de la culture du cabinet dont l’ensemble des services administratifs est centralisé sans pour autant que tout soit à Paris. La direction comptable du cabinet est à Paris mais la direction des ressources humaines et le support informatique sont à Lyon.

Dans le cas de Bignon Lebray & Associés, l’ouverture du bureau de Lille en 1990 n’est pas un hasard. Outre le fait que Xavier Lebray, un des fondateurs du cabinet et son actuel Président du Directoire, originaire du Nord, c’est à l’initiative d’un ancien collaborateur du cabinet qui est reparti travailler à Lille, dont il était originaire, que s’est prise la décision de cette implantation. " L’ouverture de ce premier bureau résulte d’une conjonction de facteurs humains et d’opportunités ", explique Rémi de Gaulle, associé et membre du Directoire de Bignon Lebray & Associés et lui-même en charge du bureau d’Aix-Marseille. Il ajoute : " Notre présence dans les quatre principales zones d’activité économique est une conjugaison de rencontres personnelles, d’opportunités et de stratégie ".

La connaissance du tissu local – clients, confrères, magistrats- ne dispense pas de l’importance d’une communauté de culture entre les associés parisiens et les autres. Rémi de Gaulle a prêté serment à Paris avant de s’installer à Aix-en-Provence en 1979. Il a rejoint Bignon Lebray en 1993 avec une activité déjà très établie sur la région, cependant, il insiste " Il ne suffit pas d’ouvrir un bureau avec un ancien correspondant. La mayonnaise prend quand il y a des valeurs communes. Nous sommes un cabinet avec différentes implantations mais nous sommes structurés en départements, pas en bureaux. Nous puisons nos compétences dans tout le cabinet ".

Pour Bird & Bird, c’est la rencontre avec l’équipe d’Yves Bizollon, lui-même d’origine lyonnaise, qui a joué un rôle déclencheur dans l’ouverture du bureau de Lyon. Associé du cabinet lyonnais Lamy Veron, il a décidé de s’en séparer quand ce cabinet s’est scindé. Son association au sein de Bird & Bird lui a permis de continuer à servir les intérêts de ses clients à Lyon tout en leur proposant l’ensemble des compétences d’un cabinet international. Le cabinet s’est ensuite rapidement développé avec l’adjonction d’une seconde équipe d’avocats lyonnais autour de Hubert de Goisse, afin de doter le cabinet des capacités d’intervention nécessaires en droit commercial. " Pendant cette période de croissance, encore expérimentale, nos clients de la région Rhône-Alpes ont été très heureux de cette implantation. Ils sont sensibles à l’intérêt qu’un cabinet international porte à leur région. Nous leur disons que, pour nous, leur région est importante ; c’est un signal fort ", souligne Frédérique Dupuis-Toubol. L’ouverture du bureau de Lyon est un vrai succès pour Bird & Bird. Le cabinet s’était fixé une période de dix-huit mois pour valider son choix. A l’issue de cette période, tous les signaux étaient au vert. C’est donc une stratégie de développement et d’investissement très dynamique qui a été choisie. Constituée de cinq avocats lors de l’ouverture du bureau, l’équipe de Lyon pourrait être portée à plus de vingt avocats. " Les clients d’Yves Bizollon qui constituaient le noyau de départ de la clientèle à Lyon consultaient surtout le cabinet pour leurs dossiers de propriété industrielle. Maintenant, nous sommes devenus un guichet unique pour les clients qui autrefois traitaient leur propriété industrielle avec Yves et le reste de leurs dossiers avec des avocats parisiens ", explique Frédérique Dupuis-Toubol. Dès 2008, une équipe de fiscalistes animée par Rémi Gouyet va venir compléter l’effectif.

Compter sur des hommes et des femmes qui connaissent déjà le terrain permet d’assurer une implantation dans les meilleures conditions. L’apport des compétences complémentaires des cabinets parisiens est plutôt bien accepté dans les villes qui les accueillent. " Nous ne venons pas faire concurrence à nos confrères toulousains mais nous apportons une compétence nouvelle ", nous dit Isabelle Smith Monnerville à propos du bureau que le cabinet Vaughan a ouvert à Toulouse en 2006. " Nous avons reçu un accueil très chaleureux du barreau de Toulouse ", précise-t-elle.

Comment s'y prendre ?

Le maître mot pour tous nos interlocuteurs est l’intégration. Certains cabinets ont tenté l’aventure des bureaux secondaires pour ensuite plier bagages. Ces échecs ont le plus souvent les mêmes causes : absence de communauté de culture et d’intérêts. Les associations qui réussissent sont celles où il y a une harmonisation totale des procédures et des méthodes de travail.

" La notion de process est centrale. Nous faisons des efforts constants de méthodologie pour offrir un service cohérent en associant nos compétences ", dit Isabelle Smith Monnerville.

Les cabinets que nous avons interrogés ont immédiatement mis en place un réseau informatique commun avec leurs bureaux en dehors de Paris. Les services administratifs sont centralisés. La saisie des time-sheets et la facturation le sont aussi. Quand les procédures sont communes et que le cabinet parle d’une seule voix, les clients sont au rendez-vous. " Nous avons de nombreux clients qui font appel à nous parce qu’ils veulent un même service sur l’ensemble du territoire ", explique Rémi de Gaulle de Bignon Lebray & Associés qui cite, pour illustrer son propos, l’exemple d’une banque qui avait besoin d’une couverture nationale pour son contentieux avec l’exigence que les mêmes procédures soient suivies dans l’ensemble des dossiers. Les quatre implantations du cabinet ont permis d’apporter les solutions souhaitées.

Le contact physique entre les associés a aussi une grande importance, même à l’époque de la visioconférence. En cela, le TGV a eu un impact considérable. Bird & Bird a son bureau parisien sur la même ligne de métro que la Gare de Lyon et le bureau lyonnais est situé à quelques pas de Lyon La Pardieu. Alors que pour Bignon Lebray & Associés et Bird & Bird, l’intégration juridique et comptable est complète, Vaughan a fait un autre choix pour son bureau à Sophia Antipolis. Pierre Callède, l’associé de Vaughan en charge de Sophia Antipolis était inscrit à Paris. Il a eu un début de carrière dans les grands cabinets internationaux et a travaillé à New York. De retour en France, il a choisi de s’installer en province, à Sophia Antipolis et a créé son cabinet en SELARL, il y a cinq ans. Quand il a choisi de rejoindre Vaughan dont il connaissait les associés depuis longtemps, il y a eu une longue réflexion sur la meilleure façon de rapprocher les structures. Tout en partageant les valeurs, les moyens et la vision stratégique de ses nouveaux associés, Pierre Callède souhaitait conserver la maîtrise de son exploitation à Sophia Antipolis. Les associés ont d’abord envisagé un GIE mais celui-ci posait des problèmes pratiques dans la mesure où chaque associé aurait dû adhérer individuellement au GIE. Ce sont les nouvelles dispositions applicables depuis mai 2007 qui ont apporté la solution en permettant à une structure d’exercice d’adhérer à une association d’avocats. Cette formule crée les conditions d’une véritable communauté puisque la clientèle de Pierre Callède a été apportée à l’association pendant la durée de celle-ci, les factures sont communes et le chiffre d’affaires est commun même si les associés, personnes physiques sont assujetties à l’IR alors que la SELARL est assujettie à l’IS.

L’AARPI (Association d’Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle) réglementée par le décret du 15 mai 2007, utilisée par Vaughan dans une configuration inter-barreau, apporte une solution très proche des LLP américaines. Plus simple à faire et à défaire, la solution retenue pour l’intégration de Pierre Callède dans Vaughan pourrait inspirer d’autres cabinets parisiens qui souhaitent s’associer à des confrères dans le cadre d’ouverture de bureaux en province.

De nouveaux choix de vie

Tout le monde n’a pas envie de vivre à Paris. Ceci est aussi vrai pour de nombreuses familles parisiennes avec de jeunes enfants dont le niveau de vie se trouve grevé par un immobilier très cher. " Il y a une évolution démographique caractérisée par l’envie de quitter Paris ", constate Frédérique Dupuis-Toubol à propos de ces avocats qui aspirent à une meilleure qualité de vie que celle qu’ils peuvent trouver dans la capitale.

L’immobilier joue un rôle majeur dans ces considérations tant du côté des entreprises que du côté des particuliers. En effet, de plus en plus nombreuses sont les entreprises anglaises ou allemandes qui choisissent de s’installer dans d’autres villes que Paris encouragées par un immobilier plus abordable, pour leurs bureaux comme pour le cadre de vie de leurs dirigeants, tout en profitant d’une infrastructure de transports efficace. Les cabinets d’avocats peuvent faire le même calcul. Pourquoi tous les avocats corporate d’un cabinet devraient-ils tous être à Paris s’ils peuvent travailler aussi efficacement et plus confortablement à partir d’un autre bureau ?

Les cabinets qui choisissent de croître avec des implantations en province offrent de nouvelles opportunités de carrière à leurs associés et collaborateurs auxquelles ceux-ci ne sont pas indifférents. Chez tous les avocats que nous avons interrogés, il y a une nouvelle mobilité qui s’installe dans la culture de leurs cabinets. Ainsi, chez Bird & Bird, un des collaborateurs senior de Paris a quitté la capitale pour devenir associé à Lyon. Chez Bignon Lebray & Associés, Rémi de Gaulle fait la même constatation : " Les collaborateurs bougent d’un bureau à un autre. Nous avons deux parisiens qui sont partis à Lyon et deux autres à Aix ainsi qu’une aixoise à Paris. Le cabinet est une opportunité pour ceux qui veulent bouger en France ".

Alors, faut-il y aller ?

Il semble incontestable que l’expansion en direction de la province est une stratégie de croissance sous utilisée par les cabinets parisiens. Alors que la France s’est décentralisée et que le rôle des régions est devenu beaucoup plus important, le schisme Paris / Province des avocats est encore tenace. Entre parisianisme et protectionnisme, les frontières ont peu bougé au cours de ces dernières années. Les parisiens se sont développés à Paris alors que de nombreux cabinets provinciaux ont connu des développements importants sans nécessairement que ces développements ne concernent Paris (v. Juristes Associés n° 259).

Mais les mentalités évoluent et les horizons s’élargissent. Pour les cabinets dont la clientèle est constituée de grosses PME, d’entreprises disposant de réseaux ayant besoin d’une couverture géographique spécifique, ou encore d’entreprises ayant une activité de niche qui seraient prêts à confier plus de dossiers à un avocat plus proche, la question d’ouverture de bureaux en province se pose. L’étape suivante consiste alors à identifier des avocats connaissant l’environnement local et partageant la même culture. Cette dernière condition est un préalable indispensable à une intégration réussie.

Lorsque ces facteurs sont réunis, si nous faisons la synthèse des propos recueillis auprès de nos interlocuteurs, les gisements de croissance et d’opportunités sont considérables. Une politique de gestion intégrée permet alors de développer le chiffre d’affaires existant auprès de clients qui se sentent mieux accompagnés et plus soutenus. Une répartition des effectifs sur le territoire peut permettre des économies de coûts de structure en raison de prix du l’immobilier. Enfin, en fonction de ce que la
France parviendra à faire en termes d’attractivité au cours de ces prochaines années, il y aura de plus en plus d’implantations d’entreprises internationales dans les régions et, pour les avocats parisiens qui envisagent d’y être présents, sans doute une prime aux premiers arrivants.