Les family offices, nouveau créneau ?

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Concept encore relativement méconnu en France, le Family Office vient des Etats-Unis où les personnes privées disposant de grandes fortunes ont, depuis longtemps, pris conscience de la nécessité de s’entourer de professionnels compétents qui se consacrent à la préservation et à la croissance de leur patrimoine, les assistent sur les aspects fiscaux et juridiques et les soulagent de nombreux aspects de la gestion administrative de leur vie quotidienne. Ces tâches aux multiples facettes sont réalisées par des organisations dites “Family Office” disposant de professionnels dédiés et pouvant également faire appel à des spécialistes
extérieurs.

La famille Rockefeller fut la première à mettre en place un Family Office. La fortune des Rockefeller avait été placée dans un Trust géré pour ses bénéficiaires. Le nombre de ces derniers a augmenté avec le temps et c’est une véritable organisation  structurée qui s’est mise en place afin de gérer cette fortune pour le bénéfice des membres de la famille. En France, ce sont traditionnellement les banques privées qui s’occupaient de la gestion des actifs des familles fortunées ; ces dernières allant parfois jusqu’à créer des établissements financiers dont le premier rôle était la gestion des actifs familiaux.

Il est vrai que l’instrument juridique qu’est le Trust des pays anglo-saxons se prête particulièrement bien à la notion de Family Office, celui-ci prenant parfois le rôle de Trustee pour l’administration du Trust. En droit français, même si la fiducie se rapproche du Trust, elle n’en présente pas pour autant des caractéristiques identiques. Malgré la différence des outils juridiques disponibles, en France de plus en plus de professionnels de la finance et du droit s’organisent pour fournir des
services dits de " Family Office ".

Une demande grandissante

Les riches sont de plus en plus nombreux et deviennent de plus en plus riches. Aux Etats-Unis, en Europe, en Russie, en Asie et en Amérique latine, partout émergent des fortunes qui, au-delà d’un certain seuil, vont, sauf accident majeur, grossir. Ces fortunes doivent être gérées et ceux qui les possèdent ont des besoins spécifiques à leurs situations.

Une fortune personnelle ou familiale devient rapidement aussi complexe à gérer qu’une entreprise et c’est donc cette " entreprise familiale " qui sera gérée par le Family Office. Dans le cas des plus grandes fortunes, les Family Offices pourront être des structures exclusivement dédiées à la gestion d’une seule fortune (single family office). Plus fréquemment, les fonctions de Family Office sont mutualisées par des multifamily offices qui fournissent à plusieurs familles la palette entière des services nécessaires. Ces structures peuvent être mise en place au sein de banques privées ou exister de façon indépendante et autonome (independent family office). Il est souvent arrivé qu’un Family Office mis en place par une seule famille ait ensuite cherché à partager les coûts de cette organisation avec d’autres familles ayant les mêmes besoins.

Une Association Française du Family Office (AFFO) qui regroupe des membres parmi les professions juridiques (avocats et notaires), la finance, l’art et l’immobilier a été constituée en 2001 avec la vocation de réunir les professionnels concernés et intéressés par ces questions. L’association définit les principales missions d’un Family Office de la manière suivante : la protection à long terme des intérêts de la famille, la préservation de l’harmonie familiale dans la durée et aussi la fonction de dégager les membres de la famille des soucis quotidiens. Alain de Foucaud, avocat associé de Taylor Wessing France est un des membres d’origine de l’AFFO. Il résume le rôle de l’avocat dans le contexte du Family Office : " Soit nous intervenons en notre capacité de spécialiste pour répondre aux questions ponctuelles ou récurrentes d’un Family Office, soit nous sommes au centre du dispositif aux côtés du chef de famille et nous participons à l’administration ou même à la création du Family Office ".

Le concept recouvre donc bien plus que de la gestion de patrimoine améliorée. Il s’agit d’assurer un back et un front office pour la gestion de l’entreprise que constitue l’organisation de la famille et de ses actifs. Ainsi, des rôles tels que l’organisation et l’assistance dans le fonctionnement d’un conseil de famille, la formation des générations futures pour assurer un passage en douceur ou encore la gestion de l’immobilier familial, des collections d’oeuvres d’art ou de mobilier, la mise en place de fondations ou d’actions caritatives sont autant de missions qui nécessitent l’intervention de spécialistes et un suivi rigoureux.

Essentiellement aux Etats-Unis mais aussi en Angleterre, des professionnels de la gestion de fortune, des avocats ou des experts-comptables se sont lancés dans la création de Family Offices indépendants. En France, de telles initiatives commencent à se développer ainsi que le démontre la création et les activités de l’AFFO et de nombreux professionnels réfléchissent aux meilleurs façons de structurer des offres de services efficaces et de qualité pour les familles fortunées. Cette réflexion s’inspire naturellement de ce qui se fait ailleurs. " L’AFFO a organisé un voyage à New York avec ses membres et la Compagnie Financière Edmond de Rothschild afin de visiter des Family Offices indépendants et d’échanger avec eux. Nous envisageons un prochain voyage en Asie. Notre volonté est de créer un réseau international et aussi de créer une charte pour le Family Office en France ", explique Alain de Foucaud.

Aux Etats-Unis, certains de ces professionnels ont choisi d’organiser leur activité de manière à ce qu’elle soit intégralement dédiée à assumer toutes les tâches quotidiennes de la vie de leurs clients, offrant des services de paiement de factures, d’intendance et même de conciergerie. Les familles sont alors dégagées de la quasi intégralité de leurs tâches administratives et organisationnelles et ce sont de véritables secrétariats permanents qui sont mis à leur disposition pour régler tous les tracas du quotidien jusqu’à la location du bateau pour les vacances ou le remplacement du cuisinier qui ne donne pas satisfaction.

Qu’il s’agisse de questions administratives simples ou d’enjeux patrimoniaux complexes, le droit est omniprésent dans les missions du Family Office. Dans la culture française, c’est peut-être le notaire qui a plus souvent assumé un rôle d’arbitre et de sage lorsque la préservation et la transmission des actifs familiaux sont en jeu. Or, avec l’accélération de la vie moderne, il ne suffit plus de se réunir lors d’un mariage ou d’un décès pour administrer les biens familiaux. L’administration d’une fortune de plusieurs centaines de millions d’euros, ou même parfois de quelques dizaines, peut demander des interventions quotidiennes.

Selon un récent article du New York Times, aux Etats-Unis, 80 multi-family offices étaient chargés de gérer des fortunes totalisant 305 milliards de dollars à fin 2006 marquant une augmentation de plus de 15 % par rapport à l’année précédente. Selon le même article, l’essor du secteur a pour incidence que le terme de Family Office soit un peu galvaudé et employé à tort par des prestataires qui se contentent de fournir du simple conseil en investissement alors qu’un vrai Family Office fournit une bonne dizaine de services allant du droit des successions au conseil philantropique en passant par le " lifestyle management ". Les honoraires pratiqués sont en général de 1 % de la fortune administrée. Dans le cas de fortunes importantes, les montants potentiellement en jeu sont considérables.

Du LBO au Family Office

En France, nous sommes encore loin d’avoir un marché structuré en ce qui concerne les prestations de Family Office telles qu’elles existent aux Etats-Unis. Cependant, l’évolution de la démographie économique entraîne un besoin grandissant pour ces services. Sur ces dernières années, l’explosion du Private Equity a créé de nouveaux modes d’enrichissement pour les entrepreneurs et parallèlement une demande de prestations adaptées à leur situation et leurs besoins.

" C’est souvent en conseillant des opérations de LBO que nous sommes devenus les conseils de certains entrepreneurs et de leurs familles dans une fonction de Family Office. On commence par le deal et on s’occupe ensuite de la personne ", explique Michel-Pierre Boutin, associé fondateur du cabinet d’avocats Moisand Boutin et Associés. Ce cabinet parisien de onze associés issus des grandes structures internationales conseille plusieurs personnes physiques et familles fortunées.

Le LBO (NDLC :leveraged buy-out,  terme anglais pour financement d'acquisition par emprunt) est l’exemple type de l’évènement qui vient bouleverser la situation patrimoniale d’un individu et de sa famille. Sa fortune est génératrice de très nombreux besoins en matière de conseil et d’assistance. Jean-Luc Marchand, également associé au sein de Moisand Boutin et Associés, résume clairement : " Nous qui sommes au départ des fiscalistes, avons fait face à des situations et des sujets qui nous ont fait sortir de nos habitudes. Nous basculons du droit fiscal dans le droit civil ; c’est une articulation très spécifique ".

" Il faut avoir une sensibilité aux familles et aux entrepreneurs. Cette activité nous permet de côtoyer des personnes exceptionnelles pour lesquelles il y a beaucoup de travail à faire sur le plan fiscal et civil ", précise Alain de Foucaud.

Un travail de spécialiste pour des situations complexes

La famille fortunée n’a pas seulement besoin de conseils en matière de fiscalité. Les impératifs de conservation, de gestion et de transmission du patrimoine posent de multiples questions qui finissent par constituer une spécialité à part entière. Même si la France ne connaît pas encore une offre commerciale d’organisations  dédiées de Family Office, les clients sont très demandeurs d’une présence de confiance à leurs côtés.

" C’est une spécialité à part entière. Nous parlons de leurs soucis, de leur avenir. Nous sommes au coeur de la vie des gens. Ce rôle demande beaucoup d’empathie et de tact ", précise Michel-Pierre Boutin. L’avocat peut alors se trouver dans un rôle de coordination et sera aux côtés de son client pour l’aider dans ses réflexions et ses choix mais aussi dans son travail avec les gestionnaires de patrimoine, les experts-comptables, les notaires et tous les autres professionnels susceptibles d’intervenir dans ses affaires.

Dans son rôle de Family Office, l’avocat est confronté à des situations juridiques aussi diverses que complexes. Au premier abord, on peut penser que les questions clés se limitent à la transmission de patrimoine et aux donations partage... Les réalités sont souvent plus délicates.

Il y a les cas des groupes industriels détenus par une multitude de membres d’une famille chacun à travers des sociétés propres interposées dans lesquelles la propriété des actifs peut souvent être démembrée entre l’usufruit et la nue-propriété. Il y a les cas d’affaires familiales devant être dirigées par un des membres de la famille sans que les autres ne soient lésés pour autant et sans que la pérennité de l’actif familial ne soit menacée. Il y a encore tout le travail très technique autour de la mise en place et de l’administration de fondations, que celles-ci soient à but scientifique, culturel ou artistique.

" Si l’un des héritiers citoyen et domicilié en France envisage de se marier avec une personne d’une autre nationalité, nous devons l’assister dans le choix de son régime matrimonial, analyser l’impact des règles de DIP et peser toutes les conséquences de ces choix sur son patrimoine en France et ailleurs ", explique Alain de Foucaud à titre d’exemple.

La fiscalité internationale personnelle et immobilière est aussi omniprésente dans le contexte du Family Office. " J’ai récemment conseillé une famille française dont le chef de famille était titulaire d’une double nationalité et possédait des biens immobiliers dans plusieurs pays. Elle voulait rationaliser l’ensemble de la fiscalité de son patrimoine immobilier ", ajoute Alain de Foucaud.

Ce mélange de fiscalité et de droit civil appliqué aux problématiques de ces personnes fortunées est une spécialité à part entière. Les départements Trusts and Estates des cabinets anglais et américains sont structurés en conséquence depuis fort longtemps. Il est cependant intéressant de noter que la spécialisation des avocats se fait de plus en plus par le profil des clients. Ainsi Taylor Wessing dispose de son département Private Client et un cabinet anglais est allé jusqu’à se spécialiser dans les fortunes de rock stars.

Family Office, nouveau marché

Michel-Pierre Boutin et Jean-Luc Marchand ne revendiquent pas le terme de Family Office. Ils se considèrent comme des fiscalistes qui ont ajouté une dimension civiliste à leur pratique du droit des affaires et de la fiscalité pour répondre aux demandes de certains de leurs clients. " Le marché français ne comprend pas encore la notion de Family Office. Il y a une pluralité d’intervenants qui travaillent plus ou moins en équipe. Le marché n’est pas encore organisé ", explique Jean-Luc Marchand.

Il est vrai qu’entre les notaires qui ont des compétences financières, les gestionnaires de patrimoine qui ont des compétences juridiques ou les experts-comptables qui connaissent bien la fiscalité, il y a de nombreux professionnels qui peuvent prétendre apporter leur savoir-faire à cette clientèle de particuliers fortunés. Parmi tous ceux-ci, l’avocat a incontestablement les armes nécessaires pour apporter ses conseils mais également pour jouer le rôle indispensable de coordinateur entre les différents intervenants. Il ne s’agit pas pour l’avocat de se substituer au notaire dans l’exercice de ses prérogatives ou encore de faire de la gestion de patrimoine mais cette clientèle a des besoins que l’avocat peut comprendre. L’avocat peut alors structurer son offre de services pour accompagner son client et l’orienter vers le professionnel compétent quand il le faut.

Pour Alain de Foucaud, ce rôle central de l’avocat est celui qui l’attire le plus. " Le cas de figure le plus intéressant est d’être aux côtés du chef de famille et de tout mettre en place autour de lui ", précise-t-il.

A ce jour, cette offre structurée n’est pas proposée en tant que telle. La tradition française de l’avocat privilégie l’évolution progressive de la relation de confiance et de proximité qui amènera le client non seulement à écouter les conseils de son avocat mais aussi à lui demander de recommander d’autres professionnels. Les gestionnaires de patrimoine ne s’y trompent pas et sont de plus en plus nombreux à frapper à la porte des cabinets pour proposer leurs produits et leurs services.

Au cours des dernières années, de nombreux français se sont exilés pour ne pas être pénalisés par la fiscalité française. La Belgique, la Suisse et l’Angleterre offrent selon les cas des conditions d’accueil plus favorables aux personnes fortunées. Il est cependant intéressant de noter que ces " délocalisations " semblent se faire plus rares et qu’un certain nombre de ces " délocalisés " reviennent. Si les riches restent en France, le Family Office a de beaux jours devant lui.


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