L’action juridique au sein d’une compagnie minière sud-africaine

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Cheikh T. Wane, Senior LegalCounsel à AngloGold AshantiCheikh T. Wane, Senior LegalCounsel à AngloGold Ashanti, compagnie minière sud-africaine spécialisée dans l’or, revient pour les lecteurs du JEM sur la complexité et la diversité de ses missions au sein de cette société africaine internationale, et sur les particularités de la profession d’« In-house counsel » en Afrique.

Pouvez-vous nous décrire votre parcours et votre poste à la Direction juridique de l’Anglo Gold Ashanti ?

J’ai fait mes études de droit à Londres où j’ai obtenu une maitrise àBirkbeckCollege (University of London). Ayant obtenu le Post GraduateDiploma in Legal Practice du College of Law, j’ai intégrédifférents cabinets à Londres où j’ai effectué mon stage obligatoire de 2 ans avant de devenir Solicitor of the Supreme Court of England and Wales.

J’ai exercé pendant 3 ansà Londres avant de revenir à Dakar (Sénégal), mon pays d’origine, où j’ai été recruté par le Cabinet de Droit des Affaires MamieAdam Gueye 7 Associés. Après une collaboration de 6 mois, j’ai ouvert mon propre cabinet (Intelex), conseillant essentiellement des investisseurs étrangers en Afrique de l’Ouest.C’est dans ce cadre que je suis entré en contact avec AngloGold Ashanti qui venait d’ouvrir son « technical hub » pour la sous-régionà Dakar. Au bout de quelques consultations, AngloGold Ashanti m’a proposé de me recruter comme Conseiller Juridique pour le Sénégal, le Mali et la Guinée, fonction que j’exerce depuis Janvier 2011.

Que pensez-vous des formations en droit proposées en Afrique du Sud,et plus globalement en Afrique ? En quoi diffèrent-elles des formations française ou anglo-saxonne ?

Les formations en droit en Afrique du Sud, pays appartenant au Commonwealth,sont de fait très similaires aux formations proposées en Grande-Bretagne. Les cursus existants sont plus ou moins identiques, notamment en termes de nombre d’années d’études.

Pour les autres pays africains, la formation est plus académique. Bien évidemment, je connais plus précisément les cursus proposés au Sénégal, ayant des relations suivies avec de nombreux universitaires, ainsi qu’avec le Barreau de Dakar. Dans ce cadre, je milite depuis quelques temps pour que la formation des avocats et « In-house counsel » au Sénégal soit réformée. Elle est aujourd’hui beaucoup trop théorique.Quand un avocat arrive dans un cabinet, il ne peut pratiquement rien faire : il connait les textes mais ne sait pas les appliquer. Le système anglo-saxon est, dans cette optique, nettement plus efficace :en Angleterre, l’année passée dans l’école du Barreau est une année de pratiquependant laquelle l’on passe beaucoup du temps dans les cours des tribunaux, à faire des jeux de rôle par exemple. L’avocat-stagiaire est ainsi opérationnel beaucoup plus rapidement.

J’essaye de mettre en place, au sein de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar, une école du Barreau qui, au lieu d’obliger les étudiants à passer l’examen du Barreau après leur maitrise de droit, instaurerait un an minimumde formation pratique, constituant un préalable au passage de l’examen. C’est encore en projet, mais il me semble primordialde réformer cette formation pour la rendre plus attractive.

Quels sujets êtes-vous le plus amené à traiter ? Les affaires auxquelles vous êtes confrontées comportent une forte dimension internationale, comment parvenez-vous à vous adapter à cette contrainte ?

La plupart des sujets se rapporte au droit minier des pays où AGA opère. Cependant, la rédaction des contrats commerciaux, le droit du travail, les négociations avec les autoritésgouvernementales et administratives sont aussi des domaines où la direction juridique agit.AGA est une société internationale par excellence, en raison de la diversité des pays où elle est présente. Nous sommes confrontés à des systèmes juridiques très divers, auxquels nous devons nous adapter tant bien que mal, même s’il faut souvent recourir à des avocats ou juristes locaux comme consultants.

Pour ma part, je couvre 3 pays qui ont en commun, il est vrai, l’Acte Unique de l’OHADA, qui unifie le droit commercial. Cela nous facilite la tâche et nous permet de faire des économies d’échelles. En effet, les affaires sont ainsi traitées de manière identique au Mali ou en Guinée. Pour les renégociations des conventions de base, les négociations avec l’administration fiscale, la création d’un pacte stabilité fiscale, cette unification nous permet de reproduire les mêmesschémas d’un pays à l’autre.

En revanche le droit minier demeure différent selon les pays. Cependant,la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afriques de l’Ouest) travaille actuellement à l’élaboration d’un code minier unique pour les 14 pays de la Communauté, qui contribuerait à la simplification de notre travail juridique.

Quel est le statut du juriste d’entreprise en Afrique du Sud ? Existe-t-il une organisation regroupant ces professionnels du droit ?

L’Afrique du Sud a un système similaire au système anglo-saxon. Les juristes d’entreprises (In-house counsel) peuvent être inscrits au Barreau et bénéficient alors des privilèges attachés au statut d’avocat. Mais ils peuvent également exercer sans être inscrits au Barreau. Spécialistes du droit, salariés, ils exercent alors leur missions sans aucune particularité ni aucun privilège.

Il n’y a, à ma connaissance, aucune organisation professionnelle des juristes d’entreprise en Afrique du Sud, et même globalement dans tous les pays d’Afrique où j’exerce mon activité. Ces organisations ne paraissent pas nécessaires aux « In-house counsel », la plupart étant, dans ces pays,déjà membres du Barreau, ne se distinguant pas des autres avocats.

Cependant il serait important de créer ce type de regroupements, car ils pourraient représenter une opportunité, notamment pour les juristesd’entreprise non-inscrits au Barreau, de se retrouver, d’échanger entre eux, et defavoriserla formation professionnelle. Aucun projet n’a été lancé dans ce sens, mais c’est une idée que doivent creuser les juristes d’entreprise en Afrique.

Vous qui êtes amené à côtoyer des directeurs juridiques bénéficiant du « legalprivilege », quel est votre avis concernant la confidentialité des avis ?

Je ne peuxpas vraiment me prononcer sur cette question, celle-ci ne se posant pas en Afrique. Tout ce que je peux dire c’est que le « legalprivilege » vient avec beaucoup de contraintes imposées à la conduite professionnelle des juristes d’entreprises. Tout comme les avocats, ils doivent respecter une déontologie stricte et peuvent perdre leur statut à lamoindre faute professionnelle grave rapportée au conseil de l’ordre.Même en travaillant pour un client « privé », ils doivent constamment agir comme s’ils étaient avocats sur la place publique.

Propos recueillis par Anne Renoncet

ANGLOGOLD ASHANTI

AngloGold Ashanti est une société minière sud-africaine fondée en 1999 et spécialisée dans l’extraction aurifère, qui occupe le rang de troisième producteur mondial d’or. Elle possède 21 mines réparties dans 10 pays. AngloGold Ashanti a produit 81 tonnes d’or en Afrique du Sud en 2006, sur les 191 tonnes d’or produites annuellement par l’Afrique du Sud.

A propos

jem17Cet article provient du numéro 17 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial s'intéresse au droit public des affaires.

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