Anne-Laure Casado et Eric Le Quellenec : « Les missions d’assistance de l’Ordre pourraient être plus encore facilement accessibles par des outils numériques »

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Le Monde du Droit a interrogé Anne-Laure Casado et Eric Le Quellenec, avocats candidats aux élections au Conseil de l'Ordre de Paris 2018. 14 nouveaux membres du conseil de l’Ordre pour un mandat de 2019 à 2021, par binômes paritaires, une femme, un homme seront élus à l'issue des élections des 4 et 6 décembre 2018.

Pourquoi vous présentez-vous ?

Anne-Laure Casado : Avocate au barreau de Paris depuis 2011, j’ai connu différentes formes d’exercice : collaboratrice puis associée d’une structure importante en droit de la famille, j’ai choisi de m’installer à mon compte. Depuis que j’ai prêté serment, j’ai été choquée par l’importance des comportements discriminants au sein de notre profession : la différence de traitement entre les hommes et les femmes en est une des illustrations les plus importantes.J’ai également constaté d’importantes dérives quant à la collaboration libérale. Cesmauvaises pratiques sont d’autant plus choquantes qu’elles me semblent opposées à l’état d’esprit de notre génération.Cela m’a conduit à m’engager au sein de l’Union des Jeunes Avocats en intégrant sa commission permanente sous la Présidence de Valence Borgia en 2014. Je me suis particulièrement investie au sein du service SOS Collaborateurs, qui conseille et assiste bénévolement les collaborateurs en difficulté. En 2017, j’ai été secrétaire générale adjointe de l’UJA, j’ai notamment pu mettre en place la première nuit des jeunes avocats, soirée de formations à destination des jeunes confrères pour leur permettre de disposer des clés nécessaires au pilotage de leur carrière et d’appréhender au mieux leurs premiers dossiers en matière pénale, ou devant la Cour d’appel, etc. C’est dans la continuité de mon engagement syndical que la commission permanente de l’UJA de Paris m’a investie, avec Eric Le Quellenec, pour être candidate au Conseil de l’Ordre. Ma candidature s’inscrit dans une volonté de faire valoir la voix des jeunes confrères dans la définition de l’avocat de demain. Nous sommes à un tournant de la profession, l’avocat est amené à faire évoluer sa pratique, que ce soit en cessant ses comportements discriminants ou contraires aux règles de la collaboration libérale, en intégrant le numérique dans son quotidien, mais aussi en repensant son modèle économique pour mieux répondre aux attentes des clients.

Eric Le Quellenec : Avocat depuis 2005, j’ai, comme Anne-Laure, connu différentes formes d’exercice. Cette expérience combinée à un parcours syndical engagé il y a près de 10 ans manifeste la forte envie de passer du mode « think tank » au « do tank » au sein du Conseil de l’Ordre. Travaillant actuellement dans une structure qui m’a offert toutes les clés d’un exercice épanouissant et stimulant dans le droit du numérique, avec une équipe de trois collaborateurs très impliqués, cette candidature arrive au bon moment.Elle est l’aboutissement d’un parcours de plusieurs années à l’UJA, en interaction directe avec les jeunes avocats. Au sein de la Commission CV, j’ai, par exemple, assisté de nombreux jeunes confrères à « optimiser » leurs CV, lors d’entretiens individuels. Au-delà de purs conseils de forme, c’est une vraie aide à l’orientation que propose l’UJA allant jusqu’à un accompagnement de carrière, d’une certaine façon. C’est notamment cette connaissance fine du terrain que nous partageons avec Anne-Laure et qui peut être aussi très utile à l’Ordre lorsque des questions concernant les collaborateurs doivent y être traitées.

Quels sont les principaux axes de votre programme ?

Anne-Laure Casado : A la différence des candidats au Bâtonnat, nous n’avons pas de programme à proprement parler. Si nos confrères nous accordent leur confiance, nous travaillerons aux côtés du Bâtonnier et Vice-Bâtonnier actuels, ainsi que de ceux qui seront élus le 6 décembre au soir.

J’aurai à cœur de m’engager sur les terrains de la collaboration libérale, de l’égalité professionnelle ainsi que sur la nécessité pour l’ordre d’accompagner l’avocat dans son initiative entrepreneuriale.

Les mauvaises pratiques, tant en matière de discrimination, que celle relatives à la collaboration libérale, sont contraires à un modèle économique rentable. La collaboration libérale est une véritable opportunité pour les cabinets. C’est dans cette dynamique que la charte des bonnes pratiques de la collaboration diffusée par le Barreau et signée par la plupart des cabinets d’affaires met en avant l’envoi de dossiers par les associés aux collaborateurs. En effet, certains dossiers n’ont pas lieu d’être traités par le cabinet pour des raisons économiques notamment. En proposant aux collaborateurs de les traiter au titre de leur clientèle personnelle, cela permet de fidéliser le client. Ainsi, les entreprises peuvent confier la défense de certains dossiers, avec des enjeux économiques ne nécessitant pas l’intervention d’un associé, aux collaborateurs, ce qui permet au cabinet de devenir un interlocuteur incontournable et adapté à chaque situation. C’est ainsi que nous pouvons amener un changement dans la perception de la collaboration libérale.

Les questions de discriminations participent également de l’évolution de notre société. Il est courant, aujourd’hui, pour les entreprises de refuser de recourir à des cabinets d’avocats ayant des pratiques discriminantes. Ainsi, certaines directions juridiques refusent d’engager un cabinet où il n’y a pas de parité entre les hommes et les femmes au poste d’associés, ou encore qui ne soit pas représentatif de la diversité sociétale. Les pratiquantes discriminantes fondées sur le genre, les origines, les orientations sexuelles ou encore la religion, sont contraires à l’évolution de notre société et à un modèle économique performant.

Enfin, au vu de mon parcours professionnel, je suis particulièrement attachée à l’initiative entrepreneuriale de chacun. Il appartient à l’Ordre d’avoir un véritable rôle moteur en accompagnant et conseillant les confrères dans le pilotage et développement de leur carrière.

Eric Le Quellenec : comme Anne-Laure, la défense des droits des collaborateurs et la lutte contre toute discrimination me tiennent tout particulièrement à cœur. Du fait de ma spécialité dans le numérique et des travaux que j’ai pu mener pour l’UJA et la FNUJA en fixant une « doctrine » du numérique notamment au travers d’un livre blanc sur le « e-cabinet », je serais ravi de faire avancer la profession dans cette voie. Beaucoup de confrères se plaignent de problèmes de e-réputation ou de vulnérabilité de leur système informatique à des menaces de type hacking ou atteintes aux données personnelles de leurs clients. J’aimerais pouvoir participer au sein de l’Ordre à la mise en place d’une assistance et de solutions concrètes pour eux.Cela pourrait passer par la création d’un référent, comme il en existe déjà d’autres (pour la collaboration, contre le harcèlement et les discriminations). Ce référent pourrait apporter un accompagnement de proximité et même participer aux côtés de l’avocat concerné à la gestion de crises, en cas d’atteintes graves à la sécurité du système d’information du cabinet. De manière générale, avec l’émergence de nouvelles technologies comme le cloud computing, la blockchain et même l’intelligence artificielle, l’Ordre doit se doter d’une déontologie numérique qui protège et crée les conditions du développement de nouvelles activités.Plus particulièrement, sur le cloud computing, en particulier, un cahier des charges type fixant les standards applicables en termes de cybersécurité et confidentialité pourrait servir à tout avocat dans le choix dans son prestataire, tout en lui permettant de respecter les obligations de l’article 28 du RGPD en termes de contractualisation avec le prestataire cloud ayant qualité de sous-traitant, selon ce texte.

Quels sont les dysfonctionnements à l'Ordre ?

Anne-Laure Casado : L’Ordre est souvent perçu comme trop éloigné du quotidien des confrères, pas assez représentatif de la diversité de notre barreau, ou encore favorisant l’entre-soi et le conservatisme. Le taux de participation aux élections ordinales s’analyse souvent comme une défiance des confrères face aux instances ordinales.Le travail réalisé par les permanents, par les membres du conseil de l’ordre, par le Bâtonnier et Vice-Bâtonnier est souvent ignoré des confrères. Certains des services offerts par l’Ordre pour accompagner les confrères dans leur quotidien ne sont pas connus, les confrères n’ont donc pas le réflexe d’y avoir recours.

Eric Le Quellenec : Les bâtonnier, vice-bâtonnier et membres du Conseil font beaucoup pour les confrères, souvent au détriment de leurs cabinets et parfois même de leur vie personnelle. Des efforts importants ont été faits pour la transparence des procédures, notamment d’attribution de mission. Ces acquis sont incontestables.Durant cette campagne, il nous a été remonté à Anne-Laure et moi plusieurs attentes pour améliorer encore les services numériques de l’Ordre : fonctionnalitésà ajouter sur le site web ou rendre plus visibles sinon accessibles, regroupement des informations et services sur une même plateforme, mise en place du RPVA pour le Conseil de Prud’hommes. Cela constitue autant d’améliorations qui pourraient faciliter la vie des confrères.

Que proposez-vous comme solution(s) ?

Anne-Laure Casado : Des efforts de communication ont été entrepris pour permettre aux confrères de bénéficier d’une meilleure connaissance du travail accompli par les confrères élus au conseil de l’ordre et les permanents. Pour autant, il est nécessaire et indispensable de poursuivre et d’amplifier cette communication pour rapprocher l’Ordre des confrères, ce qui passera nécessairement par toujours plus de transparence.

A titre d’exemple, le détail du budget de l’Ordre doit pouvoir être accessible à chaque avocat cotisant.

Enfin, et surtout, pour permettre à l’Ordre d’être plus représentatif de la diversité de notre profession, de faire évoluer nos règles, pour que l’Ordre soit au service de tous, qu’il nous ressemble, il est indispensable de voter. Que ce soit pour l’UJA ou d’autres, il est indispensable de participer aux élections. Il n’est pas envisageable de laisser l’abstention choisir pour nous, nous sommes libres de choisir notre avenir en votant pour des candidats qui nous représenteront.

Eric Le Quellenec : Pour encore s’améliorer, les missions d’assistance de l’Ordre pourraient être plus encore facilement accessibles par des outils numériques adaptés accessibles à des conditions privilégiées. Cette amélioration pourrait aussi passer par la création d’une hotline pour la cybersécurité, l’atteinte à la e-réputation assurée par un ou des référents numériques à l’Ordre (voir plus haut). L’accompagnement des confrères pourrait aussi prendre la forme de formations sur le numérique, directement reconnues au titre de la formation professionnelle continue. Sur le lobbying, la restauration de la place de l’Ordre est un travail du quotidien de la direction des affaires publiques, tout dernièrement sur le projet de loi de programmation pour la justice, qu’il faudra naturellement poursuivre et accroître.

Qu'avez-vous de plus que les autres candidats ?

Anne-Laure Casado : Chaque candidat a ses propres qualités, il est donc particulièrement compliqué de répondre. A mon sens la question n’est pas dans une comparaison, mais dans le parcours de chacun. L’ensemble des candidats ont des technicités à apporter à l’Ordre. Nous sommes avec Eric les candidats au Conseil de l’Ordre investis par l’Union des Jeunes Avocats, notre parcours syndical est particulièrement présent dans notre quotidien. Nous avons connaissance des sujets de la profession et des enjeux qui sont actuellement en train de se jouer : les conséquences du Brexit pour les structures LLP, la question de la CNBF, ou encore celle des finances de l’Ordre etc.

De part nos domaines de compétences, nos structures d’exercices, et nos parcours professionnels, nous sommes complémentaires et représentatifs du barreau d’aujourd’hui et de celui de demain.

Eric Le Quellenec : En effet, notre engagement depuis de nombreuses années à l’UJA et pour ma part aussi à la FNUJA est un élément différenciant à bien des égards. Ce parcours syndical permet d’avoir une vision claire et à 360 degrés sur de nombreux sujets concernant la profession. Ma participation à la rédaction de nombreux rapports sur des sujets très variés allant du numérique aux nouvelles activités de l’avocat (les activités connexes ouvertes par les décrets Macron), ou encore motions comme par exemple sur la dématérialisation de l’aide juridictionnelle, l’apport d’affaires entre avocats, le barreau entrepreneurial…, donnent une profondeur de vue non négligeable.J’ai aussi participé à des auditions auprès de Ministères (pour le projet de loi Lemaire sur une République numérique en particulier), à la Commission des lois (pour la mise en œuvre du règlement européen général sur les données personnelles) mais aussi lors des travaux préparatoires au célèbre rapport Haeri, autant d’expériences qui m’ont préparées à ce qui pourrait être mon mandat au Conseil.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)