Les garanties offertes au cessionnaire de droits sociaux

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La cession de droits sociaux, acte juridique translatif entre vifs par lequel une personne cède tout ou partie de ses actions ou parts sociales détenues dans une société à une autre personne, s’apparente à une vente de droit commun en ce qu’elle constitue une convention par laquelle le cédant s’oblige à livrer des droits incorporels et le cessionnaire à en payer le prix.

La cession de droit sociaux relève du droit des sociétés mais n’est pourtant pas soumise à un régime spécifique en matière de garanties offertes au cessionnaire. Elle est donc uniquement protégée par les garanties légales relevant du droit commun de la vente (garantie des vices cachés, garantie d’éviction) et du droit commun des contrats (notamment avec l’exigence d’un consentement exempt de vices). 

La mise en œuvre des garanties propres au droit commun de la vente et des contrats est aujourd’hui très limitée en pratique, des aménagements contractuels sont donc indispensables afin de protéger le cessionnaire déçu d’une cession de droits sociaux.

I - Garanties propres au droit commun de la vente : une protection du cessionnaire limitée en pratique

1. La mise en œuvre de la garantie d’éviction conditionnée à la seule éviction totale du cessionnaire

La garantie d’éviction s’applique à toutes les ventes d’un droit de propriété corporel ou incorporel1.

En application de cette garantie, l’article 1626 de Code civil oblige le cédant à garantir la jouissance paisible du bien vendu au cessionnaire. 

Le cédant aura l’interdiction d’accomplir postérieurement à la cession, tout acte de nature à troubler la propriété, la possession ou la détention du bien vendu. Le cédant doit garantie au cessionnaire contre les troubles de droit ou de fait à l’encontre de la jouissance de ce cessionnaire. 

En mettant en œuvre la garantie d’éviction, le cessionnaire pourra obtenir la restitution du prix de cession, des frais faits sur sa demande en garantie, des dommages-intérêts ainsi que des frais et loyaux coûts du contrat2.

Précisons d’ailleurs que cette garantie est une disposition d’ordre public. L’article 1628 du Code civil ne permettant pas aux parties d’y déroger, cette dernière jouera même si l’acte de cession ne le prévoit pas et sans qu’aucune clause puisse l’en exonérer.

Plus précisément, dans le cadre d’une cession de droits sociaux, le cédant ne pourra donc pas accomplir d’actes de nature à constituer des reprises ou des tentatives de reprise du bien vendu ou des atteintes aux activités exercées par la société dont les titres sont cédés. 

Il convient de constater que cette interdiction vient naturellement se confronter à la liberté du commerce et de l’industrie3 et à la liberté d’entreprendre du cédant.

En effet, la garantie d’éviction vient limiter ces libertés individuelles en ce qu’elle interdit au cédant notamment de se rétablir postérieurement à la cession de droits sociaux. 

Cette interdiction doit néanmoins être limitée afin de ne pas interdire la reprise de toute activité économique au cédant. La garantie d’éviction n’est donc pas absolue et n’interdit pas au cédant tout rétablissement ou tout intéressement dans une activité similaire postérieurement à la cession de droits sociaux.

En pratique, la jurisprudence permet au cessionnaire d’engager la garantie d’éviction uniquement si ce dernier se retrouve évincé totalement, contrairement au droit commun de la vente qui sanctionne une éviction même partielle4.

En ce sens, la Cour de cassation admet de manière constante depuis plusieurs années que la garantie d’éviction ne peut jouer que si le cessionnaire de droits sociaux a été définitivement empêché de poursuivre l’activité économique de la société ou de réaliser son objet social5. La mise en œuvre de la garantie d’éviction par le cessionnaire déçu d’une cession de droits sociaux est donc très rare en pratique.

La jurisprudence soumet cette mise en œuvre à des conditions strictes de sorte que la protection offerte à l’acquéreur est très limitée. 

Un simple empêchement au développement de l’activité de la société de la part du cédant ne permet pas au cessionnaire de mettre en œuvre une telle garantie6

Hors l’impossibilité de poursuivre l’activité économique de la société, il n’y a donc pas matière pour le cessionnaire à faire jouer la garantie d’éviction, qui n’est que très rarement admise en jurisprudence dans le cadre de cessions de droits sociaux. 

2. Dans un cadre spatio-temporel désormais limité

Plus récemment encore, l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 10 novembre 2021 pose une nouvelle exigence à la mise en œuvre de la garantie d’éviction dans le cadre d’une cession de droits sociaux.

La Haute Juridiction a récemment jugé que la garantie d’éviction du cédant de droit sociaux doit être adaptée aux intérêts légitimes à protéger. 

En effet, les juges seront désormais tenus d’apprécier au cas par cas, au regard de l’activité de la société dont les actions sont cédées et du marché concerné, si l’interdiction de se rétablir pour le cédant se justifie encore au moment des faits. Dans l’arrêt précité, la création d’une société par le cédant, trois ans après la cession, dans le même domaine d’activité que celui dont les titres ont été cédés n’est pas de nature à permettre la mise en œuvre la garantie d’éviction7

La garantie d’éviction à la charge du cédant est donc limitée dans le temps.

Si l’interdiction n’est pas proportionnée à l’intérêt à protéger (la jouissance paisible du cessionnaire) selon les juges, le cessionnaire ne sera plus recevable à faire jouer la garantie d’éviction.

Une nouvelle fois, la jurisprudence vient protéger la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre du cédant, et amoindrir les possibilités pour le cessionnaire d’agir en garantie d’éviction. 

3. Une mise en œuvre similaire en matière de garantie des vices cachés

Le cessionnaire déçu d’une cession de droits sociaux peut également bénéficier, grâce au régime général de la vente, de la garantie des vices cachés. 

L’article 1641 du Code civil impose au cédant de garantir le cessionnaire à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un prix moindre, s’il les avait connus. 

De la même manière que la garantie d’éviction, la mise en œuvre de la garantie des vices cachés en matière de cession de droit sociaux n’est que très peu accueillie en jurisprudence. Elle ne pourra être mise en œuvre par le cessionnaire que si la société dont les titres sont cédés est définitivement empêchée d’exercer ou de poursuivre son activité économique ou de réaliser son objet social. Le critère de mise en œuvre est donc identique à celui de la garantie d’éviction, ce qui aboutit – en matière de droits sociaux – à rapprocher les deux actions. 

Au titre de cette garantie, le cédant ne garantit donc pas à son cocontractant la valeur des droits sociaux, alors que le cessionnaire est naturellement préoccupé par la santé économique de la société. 

En dehors des cas où la société ne peut poursuivre son activité postérieurement à la cession, le cessionnaire ne pourra se retourner contre le cédant que sur le fondement de la théorie des vices du consentement. 

II - Garanties propres au droit commun des contrats : un accueil limité en jurisprudence

1. L’inefficacité en pratique de la théorie des vices du consentement 

Conformément au droit commun des contrats, le consentement des parties à une cession de droits sociaux doit être exempt de vices (erreur, dol et violence), notamment lorsqu’ils sont d’une telle nature que sans eux, l’une des parties aurait refusé de conclure le contrat ou l’aurait conclu à des conditions substantiellement différentes. 

L’article 1132 du Code civil reconnait que l’erreur, discordance entre la croyance de l’errans et la réalité, qui n’est pas inexcusable et qui porte sur une qualité essentielle de la prestation, est une cause de nullité du contrat. En outre, l’erreur sur la valeur n’est pas une cause de nullité, ce qui restreint sensiblement le domaine de l’erreur. 

La Haute Juridiction ne retient l’erreur en matière de cession de droits sociaux que si le cessionnaire a ignoré à la date de la cession, que la société dont les titres sont cédés n’était plus en mesure de poursuivre l’activité économique constituant son objet social. Là aussi, l’erreur du cessionnaire ne sera recevable que dans l’hypothèse où la société dont les titres sont cédés n’est plus en mesure d’exercer son activité ou de réaliser son objet social, en raison d’événements qui existaient au jour de la cession et qui n’étaient pas connus du cessionnaire.  

La jurisprudence suit à nouveau le même raisonnement que pour la mise en œuvre des garanties du droit commun de la vente, qui est limitée au seul cas où l’activité économique de la société est devenue impossible postérieurement à la cession de droits sociaux.

En revanche, la réticence dolosive offre plus de possibilités au cessionnaire.  Le dol est défini à l’article 1137 du Code civil comme un vice du consentement par lequel un cocontractant obtient le consentement de l’autre par des manœuvres, des mensonges ou par la dissimulation intentionnelle d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. 

Ainsi en cas de silence de la part du cédant sur une information déterminante du consentement du cessionnaire, ce dernier pourra obtenir la nullité de la cession et/ou des dommages-intérêts. Pour ce faire, le cessionnaire devra démontrer que l’information était bien entendu connue du cédant et que son silence était intentionnel. En outre, il devra démontrer que cette information était déterminante de son consentement, étant entendu que le caractère déterminant résulte de ce que le cessionnaire n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes (c’est-à-dire que le cessionnaire aurait payé un prix moindre s’il avait connu l’information qui lui a été intentionnellement cachée par le cédant). Ce dernier cas ouvre bien plus largement l’action pour dol et lui donne un champ plus vaste que les autres actions légales à la disposition de l’acheteur. Toutefois, pour que cette action soit couronnée de succès, il faut que l’information ait été connue du cédant (sinon il n’y a pas de silence intentionnel), ce qui ne sera pas toujours – loin de là – le cas. Cette action n’offre donc pas une protection absolue pour le cessionnaire. 

La cession de droit sociaux assortie d’une garantie contractuelle prend ici tout son sens : elle permettra au cédant de garantir le cessionnaire de tout ce qui est déterminant pour lui. Ainsi si le dol porte sur un point de la garantie contractuelle, la victime pourra prouver que ce point était déterminant et que le cédant ne pouvait l’ignorer. 

Ajoutons que le dol s’apprécie à la date à laquelle le cessionnaire a donné son consentement à l’acte de cession de droits sociaux, les informations mensongères données après cette date ne pourront évidemment pas caractériser un dol, les garanties contractuelles présenteront alors un intérêt considérable.

2. L’intérêt grandissant de la mise en place de garanties contractuelles

Les dispositions du Code civil ont été essentiellement conçues pour s’appliquer à la vente de biens corporels et se révèlent en pratique très souvent inadaptées et limitées dans le cadre de la cession de biens incorporels, notamment à celle des droits sociaux.

La pratique a développé des garanties contractuelles (garantie de passif ou d’actif, clause de révision de prix, clause de non-concurrence) afin de faire face à la faible protection du cessionnaire offerte par les garanties légales.

Le cessionnaire aura donc tout intérêt lors de la cession de droits sociaux à obtenir du cédant des garanties contractuelles qui devront être négociées entre les deux parties. 

Ces garanties contractuelles pourront permettre au cessionnaire d’être protégé contre une perte de valeur des titres sociaux. Le cessionnaire sera par exemple recevable à se retourner contre le cédant si le passif de la société se révèle supérieur à celui qui avait été indiqué dans l’acte de cession ou en cas de rétablissement du cédant dans une activité concurrente. 

Face aux conditions restrictives posées en matière de garanties légales, la mise en place de garanties contractuelles est aujourd’hui essentielle dans le cadre des cessions de droit sociaux.

Victoria Szychalski, Avocat, PwC Société d’avocats 

__________________________

1 Cass. 1ère civ, 7 avril 1998, n°96-13.292

Article 1630 du Code civil

3 Loi d’Allarde des 2 et 17 mars 1791

4 Cass. com., 20 sept. 2017, n° 16-10.776

5 Cass. com., 21 janv. 1997, n°94-15207

6 Cass.com 17 décembre 2002, n°2144

Cass.com 10 novembre 2021, n°21-11.975