Quand la Silicon Valley cherche à imposer le droit américain à l’Europe

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Pour Olivier Itéanu, l’Europe a cédé face aux géants américains de la Silicon Valley.

Dans son nouvel ouvrage, un essai à paraître le 20 octobre 2016, intitulé "Quand le digital défie l'Etat de droit", Olivier Iteanu, avocat spécialisé dans le droit de l’internet, montre que la révolution numérique n’est pas seulement une révolution technologique et économique mais aussi une transformation juridique sous l’influence des géants américains du numérique au détriment de l’Europe.

Cette transformation est le résultat d’une alliance entre les libertariens californiens, les grandes entreprises de la Silicon Valley et le Gouvernement américain qui imposent leurs valeurs et leur droit

Le digital transforme le droit

Pour Olivier Iteanu, l’Europe a cédé face aux géants américains de la Silicon Valley que sont Google, Amazon, Facebook, Apple (GAFA) ou encore Microsoft. Des pratiques se sont instituées pour échapper au droit européen. Elles sont matérialisées dans les conditions générales d’utilisation (CGU) qui prévoient qu’en cas de litige le droit californien s’applique et le juge californien sera compétent : "Le digital est un moyen de transformer une relation juridique. Ces plateformes offres des services aux consommateurs européens avec la conclusion d’un contrat le plus souvent affiché comme étant soumis au droit californien et au juge californien. C’est une manière de gérer le risque de litige. Cela peut décourager un certain nombre de personnes qui s’estiment victimes d’agir en justice."

Les géants américains d’internet adeptes de l’évasion juridique

Et quand la société américaine est condamnée comme ce fut le cas de Facebook, la cour d’appel de Pau jugeant que la clause de compétence était abusive, la société maintient sa clause dans ses CGU. Le tribunal de Paris, puis la cour d’appel de Paris ont confirmé en 2016 le caractère abusif de la clause. Malgré tout, les CGU retiennent toujours la clause de compétence de la juridiction californienne.

Par ailleurs, tous les cocontractants d’un internaute français sont des sociétés de droit étranger. Ceci rend difficile la saisine du juge français.
De même, si jamais le plaignant réussi à faire condamner son prestataire de services, il lui restera à faire exécuter la décision de justice…

Tout cela n’a qu’un but : échapper au droit européen. C’est ce qu’Olivier Iteanu appelle "l’évasion juridique".

Ces pratiques ont pour conséquence la diffusion de paroles de haine sans réponse judiciaire adéquate, le recul de la vie privée devant la logique de "liberté", un affaiblissement des données personnelles et du droit d’auteur.

L’auteur prévient : "Cela va aboutir à paralyser le droit et la justice. Or, nous a besoin de justice et de droit pour que la société soit en paix".

Mais Olivier Iteanu va plus loin. Il étudie comment ces grandes entreprises agissent pour que la liberté d’expression que nous connaissons en Europe devienne le free speech américain et que la vie privée se mute en privacy. Enfin, il voit dans ces manœuvres qu’il qualifie de "coup d’Etat digital" l’affaiblissement de la Loi et une attaque contre nos démocraties.

Un sujet original et étayé. A lire absolument pour avoir un avis sur cette évolution du droit européen, et notamment du droit français tel que nous le connaissons.

Arnaud Dumourier (@adumourier)

A propos de l'auteur

Olivier IteanuOlivier Iteanu est avocat à la Cour d’Appel de Paris depuis décembre 1988 et est fondateur et dirigeant de la société Iteanu Avocats. Spécialisé dans le droit d’Internet dès l’origine, il a été président du chapitre français de l’Internet Society de 2000 à 2003 et un des rares européens ayant eu un rôle actif au sein de l’ICANN (autorité mondiale de gestion des noms de domaines).
Il est expert en noms de domaine auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.