Renforcement de la lutte mondiale contre la corruption et entrée en vigueur du UK Bribery Act

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Vincent Béglé - Avocat - Norton RoseDès vendredi 1er juillet prochain, entre en vigueur la nouvelle loi britannique contre la corruption (UK Bribery Act 2010, "UKBA"), désormais la plus sévère au monde.

L'UKBA est en effet la première législation à directement sanctionner sur le plan pénal les entreprises - par un nouveau délit de manquement à la prévention de la corruption. Selon cette loi, les entreprises sont tenues de mettre en place des procédures anti-corruption "adéquates", sauf à risquer une condamnation pénale et une amende illimitée à chaque fois qu'une personne associée à l'entreprise (employé, filiale ou même agent) s'engagera dans une activité corruptrice pour le compte de l'entreprise. L'accent est donc désormais mis sur les bénéfices de la prévention, plutôt que la pure répression.

L'UKBA s'inscrit dans le cadre d'une lourde tendance mondiale de renforcement de la lutte contre la corruption, dont les législations sont promises à un essor comparable à celui du droit de la concurrence depuis les années 1990. Au cours des derniers mois et semaines :

- la Chine a adopté une nouvelle loi réprimant la corruption de fonctionnaires étrangers;
- la Russie a renforcé sa législation, en multipliant jusque par 100 le montant des amendes pour corruption active et passive;
- dans le sillage des révolutions du printemps arabe, les pays concernés ont annoncé l'adoption de nouvelles lois et le lancement de plusieurs enquêtes;
- des projets sont en cours aux Etats-Unis pour renforcer et moderniser leur puissante loi, le US Foreign Corrupt Practices Act 1977 ("FCPA", qui a généré plusieurs milliards de dollars de sanctions) - envisageant, comme dans l'UKBA, de rendre de facto obligatoires aux entreprises la mise en place de mesures préventives anti-corruption;
- la Présidence française du G20 a réaffirmé que le renforcement de cette lutte constituait l'une des six priorités sur cet agenda mondial.

Dans ce contexte, l'entrée en vigueur de l'UKBA va générer de nouvelles compétences pour le Serious Fraud Office britannique ("SFO"), l'agence chargée des affaires anti-corruption. Le SFO vient d'être confirmé dans ses pouvoirs en matière d'enquêtes et de poursuites. Le gouvernement britannique étudierait même l'extension des pouvoirs du SFO en matière de transaction et de coopération internationale. Le SFO vient par ailleurs de multiplier les déclarations sur ses intentions d'appliquer de manière large les règles de l'UKBA - notamment aux firmes de private equity et aux multinationales.

Les règles de l'UKBA ont vocation à s'appliquer partout dans le monde, surtout dans le cadre du nouveau délit relatif aux mesures préventives. Ainsi, est visée toute entreprise qui aurait une activité, même partielle, au Royaume-Uni - quelle que soit sa "nationalité". Un très grand nombre d'entreprises françaises sont donc visées. Celles-ci ne seront pas protégées des sanctions possibles au titre du nouveau délit, tant qu'elles n'auront pas effectué leur processus d'analyse individuelle des risques (première exigence) et adapté leur programme anti-corruption en conséquence.

A ce stade, alors que l'UKBA entre en vigueur, les entreprises françaises ont une connaissance de ces règles encore très limitée. Celles-ci ignorent en grande majorité l'impact réel et concret que cette loi a sur elles et les risques qu'elles encourent. Cette ignorance ne sera pas une défense. Pour les plus grands groupes français, la connaissance de ces règles est généralement meilleure - cependant seule une minorité a véritablement commencé à s'adapter aux exigeants critères de l'UKBA. Or, le SFO n'attendra pas longtemps - des investigations visant des entreprises françaises sont d'ailleurs déjà en cours.

Vincent Béglé, Avocat et Qualified Solicitor - Norton Rose LLP - expert en éthique des affaires et anti-corruption