Quand un concurrent utilise votre marque sur internet

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Anne Messas, Avocat Associé, HMV AvocatsPeut-on utiliser les marques de ses concurrents pour obtenir un meilleur référencement sur Internet ? En effet, apparaître dans les premiers résultats sur les moteurs de recherche est une nécessité pour qui souhaite intensifier la fréquentation de son site Internet. 

Que ce soit pour obtenir un meilleur référencement naturel ou pour recourir au référencement commercial, la sélection des mots-clés est décisive
Dans le référencement naturel (SEO Search Engine Optimization), schématiquement, il s’agit de définir des termes savamment distillés dans le contenu du site Internet, pour faire régulièrement indexer ce dernier par les moteurs de recherche et le faire ainsi grimper dans les résultats affichés.
Dans le cadre du référencement commercial, il s’agit d’acheter des mots-clés (Google AdWords, Microsoft AdCenter, Yahoo Sponsored Links) qui déclencheront l’affichage d’une annonce publicitaire dans un lien pointant sur le site de l’annonceur, accompagné de la mention "annonce" "liens commerciaux" ou "liens sponsorisés" et situé dans les premiers résultats, dans des zones distinctes des résultats naturels.
Parmi les mots-clés généralement choisis par les annonceurs ou éditeurs de sites internet se trouvent bon nombre de termes génériques, mais aussi de marques et en particulier de marques concurrentes.

La question de l’achat de mots- clés reprenant des marques dans le cadre du référencement commercial a donné lieu à une importante activité judiciaire
Après l’affaire Bourse des vols en 2003, le moteur de recherche Google, ainsi que les annonceurs, étaient régulièrement condamnés au titre de la contrefaçon de marque, respectivement du fait de la vente et de l’achat de mots clés reprenant des marques pour servir de liens commerciaux. Mais depuis les décisions rendues par Cour de Justice de l’Union Européenne en 2010 dans les affaires Google, Die BergSpechte et Portakabin, il ne fait plus de doute que l’achat de mots-clés reprenant des marques, même renommées, n’est pas en soi illicite.

La liberté de la concurrence au détriment des droits privatifs des titulaires de marques
Cette orientation s’inscrit dans une tendance très nette de privilégier la liberté de la concurrence au détriment des droits privatifs des titulaires de marques, et en particulier sur Internet.
Au grand dam des titulaires de marques, certaines décisions vont jusqu’à considérer l’achat de mots-clés reprenant des marques comme un véritable droit pour l’annonceur.
Dans l’affaire Interflora /Florajet, les juges du fond évoquent "la licéité de l’emploi d’une marque même renommée à titre de mot-clé dans le service de référencement Google", en précisant que "la marque n’a pas pour objet de protéger son titulaire contre des pratiques inhérentes au jeu de la concurrence, que l’utilisation d’une marque même notoire à titre de mot-clé est licite, si elle respecte un certain nombre de conditions."

Dans l’affaire Sogelink, la Cour de Cassation qualifie d’acte de concurrence déloyale le fait pour le titulaire d’une marque de contraindre Google à refuser à ses concurrents la réservation de sa marque à titre de mot-clé. La Cour admet que le titulaire de la marque a privé indûment son concurrent "d’un moyen d’accéder à une clientèle pour lui proposer son service".
Les juges du Tribunal de Grande Instance de Paris de leur côté sanctionnent Interflora au titre de l’abus d’ester en justice pour avoir assigné Florajet sur le fondement de l’achat de mots-clés reprenant sa marque, en connaissance de l’état du droit.

L’achat de mots-clés reprenant des marques n’est pas répréhensible en soi, mais…
Le texte activé par le mot-clé, l’annonce, est en revanche susceptible d’engager la responsabilité de l’annonceur si le titulaire de marque peut démontrer qu’il y a eu une atteinte à la fonction d’origine de la marque, c’est à dire s’il peut démontrer que le texte publicitaire affiché contient des indications de nature à tromper l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif, sur l'origine des produits et services présentés.
La responsabilité de l’annonceur est ainsi retenue lorsque l’annonce est délibérément trompeuse, c’est le cas si elle exprime ou même simplement suggère l’existence d’un lien économique avec le titulaire de la marque. Ce sera aussi le cas si l’annonce est potentiellement trompeuse, trop imprécise ou "reste à tel point vague sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir (…) si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui ci".

Pas de risque de confusion en présence d’une reprise de marque dans un contexte de référencement commercial apparent.
On a pu observer une importante libéralisation depuis l’affaire Weston, les juges du fond tendent à exclure l’existence d’un risque que l’internaute soit trompé sur l’origine des produits ou services, lorsqu’il apparaît clairement qu’il est en présence d’un lien commercial. Les juges retiennent que l’internaute est en "mesure d’opérer à première vue une discrimination entre les résultats dits 'naturels' et ceux qui sont le fruit de publicités payées par un annonceur" car 'les annonces litigieuses apparaissent sur les pages des différents moteurs de recherche à un endroit distinct de celui où apparaissent les résultats dits “naturels', sous un titre précisant qu’il s’agit des 'Liens sponsorisés' pour Yahoo.fr, des 'Résultats sponsorisés' pour Altavista.fr, des 'Liens commerciaux' pour Lycos.fr, des 'Sites sponsorisés' pour Bing.fr, des 'Annonces' pour Google et dans des encadrés de couleur pour les moteurs de recherche Yahoo.fr et Lycos.fr "

Les juges retiennent également que l’internaute est censé savoir que le site internet www.ebay.fr ne relève pas du réseau de distribution de la société Weston mais constitue une place de marché distincte.

En l’état actuel de la jurisprudence, le lien activé par le mot-clé sera licite dans les cas suivants:
- La marque reprise dans le texte de l’annonce est un mot du langage courant et est utilisée dans son sens courant, d’une manière descriptive ou générique
- L'annonce ne fait pas référence aux biens ou services associés à la marque reprise
- L’annonce désigne les produits ou services promus de manière génériques, sans référence aux marques
- L’annonce ne contient pas de rattachement avec le titulaire de la marque ou la marque, elle ne suggère pas l'existence d'un lien économique entre l’annonceur et le titulaire de marque
- L’annonce permet à un internaute moyen de savoir que les produits ou services visés par l’annonce ne proviennent pas du titulaire de la marque ou d'une entreprise qui lui est liée économiquement, soit qu’elle est suffisamment explicite, soit qu’elle s’affiche dans l’espace des liens commerciaux, soit encore que le lien pointe sur des sites tels que eBay, dont l’internaute est censé savoir qu’il ne relève pas du réseau de distribution du titulaire de marque.

La pratique des mots clés reprenant des marques dans le cadre du référencement naturel a moins défrayé la chronique, mais elle n’est pas moins encadrée
Les juridictions françaises se fondent, tout comme en matière de référencement payant, sur les principes édictés par la Cour de justice de l’Union européenne. Elles retiennent la responsabilité de l’éditeur du site, aussi bien lorsque le message du résultat naturel suggère l’existence d’un lien économique avec le titulaire de la marque, que lorsque ce message reste à tel point vague sur l’origine des produits ou services en cause, qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir si un tel lien existe.

La reprise de marques de concurrents pour manipuler le référencement naturel est sanctionnée.
La tendance des juges est de restreindre la licéité de la reprise des marques dans le cadre du référencement naturel car le risque de méprise y est plus grand pour l’internaute.

Pourtant, le cadre du référencement naturel, l’éditeur du site n’est pas à l’origine du lien hypertexte activé par les mots-clés qui est automatiquement créé par des robots qui indexent les sites internet. Mais plusieurs décisions vont dans le sens d’engager la responsabilité de l’éditeur du site malgré un texte dont il n’est pas à l’origine, à raison des mots-clés figurant dans les pages de son site.
Dans une affaire CEP Trade, les juges du fond ont été amenés à condamner à la fois au titre de la contrefaçon de marques et de la concurrence déloyale et du parasitisme, le fait d’introduire dans le code source du titre du site ainsi que sur la page d’accueil de celui-ci, en technique de fond d’écran, des marques et la dénomination sociale d’une société concurrente.

Dans l’affaire Phytoquant, la Cour de Cassation a retenu un risque de confusion engageant la responsabilité de l’éditeur d’un site concurrent du titulaire de la marque car un lien hypertexte, activé par des mots-clés reprenant la marque, renvoyait les internautes sur son site. Ce lien affiché en première position de la page de résultat, comportait en outre un texte contenant des signes similaires à la marque.

Dans une décision rendue récemment par le TGI de Paris, si la contrefaçon de marque a été écartée, la société Humanis Prévoyance a cependant été condamnée à 10 000 euros de dommages et intérêts sur le fondement du parasitisme, les juges considérant que l’utilisation du terme "sapia" dans les codes sources du site est une "démarche volontaire et délibérée, qui permet à celui qui en use de bénéficier de la notoriété de celui dont elle utilise l’identification et caractérise un comportement fautif".

Ainsi, en l’état actuel de la jurisprudence, la reprise de la marque de son concurrent à titre de mot-clé, bénéficie d’un libéralisme plus grand dans le cadre d’une campagne de référencement commercial, que dans le cadre du référencement naturel.

Anne Messas, Avocat Associé, HMV Avocats