Action de groupe santé : un dispositif en trompe-l'oeil

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Marie Albertini, Associée, Reed SmithMarie Albertini, Associée, Reed Smith commente les nouvelles dispositions sur les actions de groupe en matière de santé. 

Qualifiée d’"étape majeure pour les droits des patients" par Marisol Touraine à l’occasion de la publication, le 27 septembre 2016, du décret relatif à l’action de groupe en santé instaurée par la loi du 17 décembre 2015, cette nouvelle action d’une grande complexité procédurale est aussi inadaptée à l’indemnisation de dommages corporels que source d’insécurité juridique et financière pour les entreprises.

Une procédure longue et complexe pour les usagers

Les 486 associations agréées au niveau national ou régional pourront agir dans l’intérêt d’usagers du système de santé, placés dans une situation identique ou similaire du fait des manquements d’un producteur, fournisseur ou prestataire de services de santé afin d’obtenir réparation de leurs dommages corporels.

Dans la première des deux phases de la procédure, le Tribunal se prononcera notamment sur la responsabilité du professionnel, sur les dommages corporels susceptibles d’être réparés et fixera des mesures de publicité pour informer les personnes pouvant être concernées par l’action.

La seconde phase ne pourra débuter qu’une fois que le jugement sur la responsabilité sera devenu définitif, c’est-à-dire après épuisement des voies de recours. Elle portera sur l’indemnisation, soit amiable par le professionnel jugé responsable, soit au terme d’une procédure individuelle menée par chaque usager dont la demande aura été contestée par le professionnel.

Il est très probable que la première phase prendra de 3 à 5 ans en raison de la nécessité de recourir à une expertise judiciaire scientifique pour établir la preuve du manquement allégué du professionnel et, en tout cas, son lien de causalité avec les dommages corporels décrits. A l’issue de cette première phase, un appel sera possible. Le décret prévoit qu’il pourra être jugé selon la procédure d’appel réservée aux affaires évidentes et/ou urgentes. Toutefois, compte tenu de la complexité des questions soulevées, les juges d’appel seront certainement dans l’obligation de revenir à la procédure normale de mise en état des affaires en appel. Viendra enfin, le cas échéant, s’ajouter la procédure devant la Cour de cassation.

Les mesures de publicité ordonnées par le juge pourront alors seulement être mises en place, leur achèvement ouvrant pour les usagers du système de santé concernés un délai de 6 mois à 5 ans pour adhérer à l’action.

La seconde phase, surtout si elle contentieuse, sera également longue en raison de la nécessité de procéder à des expertises médicales individuelles afin d’établir l’imputabilité du dommage corporel de l’usager au produit de santé litigieux et évaluer ses préjudices. 2 à 3 ans seront nécessaires avant qu’une décision définitive alloue une indemnisation aux usagers regroupés dans l’association.

Au total, une action de groupe santé n’aboutira qu’environ 7 à 10 ans après avoir été engagée.

Il est donc illusoire de laisser penser aux associations et à leurs adhérents que ce nouvel outil procédural leur permettra de bénéficier d’une justice rapide et efficace.

Pression médiatique et insécurité juridique et financière pour les entreprises

En l’absence de dispositions particulières dans le décret, les actions de groupe pourront mettre en cause des produits de santé qui ne seront plus sur le marché ou pour des manquements ayant cessé à la date d’entrée en vigueur de la loi. De plus, les produits susceptibles de permettre une action de groupe ne sont pas déterminés de façon limitative par le Code de la santé publique, ouvrant ainsi un champ d’application extensible. Il sera donc difficile pour les professionnels de définir le périmètre de leurs risques juridiques et financiers en amont du procès. En outre, le décret, contrairement à celui relatif à l’action de groupe consommation, ne prévoit aucune règle de compétence territoriale spécifique. De ce fait, les associations auront le choix d’engager leur procédure devant la juridiction qui leur paraitra la plus favorable. Le risque de « forum shopping » est donc réel.

La mise en œuvre de la médiation détaillée par la loi et le décret parait, ici encore, complexe et aléatoire notamment en raison de l’ignorance par le professionnel, jusqu’à la deuxième phase de la procédure, du nombre exact de plaignants et de l’évaluation des préjudices.

Enfin, les entreprises auront à évaluer les risques encourus du fait de la médiatisation des actions de groupe. Dès le 28 septembre, l’APESAC, association d’aide aux victimes de la Dépakine, a annoncé son intention de lancer une action de groupe contre SANOFI. Cette annonce a été largement médiatisée. L’objectif de cette action est avant tout, selon l’avocat de l’association, de forcer le laboratoire à négocier pour obtenir un accord amiable. Cette forte médiatisation des actions de groupe est susceptible de porter atteinte durablement à l’image et à la réputation de l’entreprise visée. Elle est d’autant plus critiquable que des mesures de publicité sont organisées par la loi dans le cadre de la procédure.

Marie Albertini, Associée du cabinet d'avocats Reed Smith