Pratiques restrictives de concurrence : ce qu’il ne fallait pas rater !

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Cynthia PicartL’article L.442-6 du Code de commerce n’en finit plus de faire parler de lui, ces derniers mois ont de nouveau été riches en décisions rendues sous son visa. Nous avons sélectionné pour vous celles qu’il ne fallait pas rater !

QPC : constitutionnalité de l’amende prévue à l’article L.442-6 du Code de commerce

Le Conseil constitutionnel saisit d’une question prioritaire de constitutionnalité (Décision n° 2016-542 QPC du 18 mai 2016) portant sur la constitutionalité de l’interprétation de l’article L.442-6 du Code de commerce faite par la Cour de cassation selon laquelle l’amende civile prévue à l’article L.442-6 III dudit Code, pourrait être prononcée à l’encontre, non pas de l’entreprise à l’origine de la pratique restrictive, mais de la personne morale l’ayant absorbée (Cass.com 21 janvier 2014 n°12-29166), déclare cette interprétation conforme à la Constitution.

Le raisonnement du Conseil s’articule en deux temps :

- Le caractère modulable du principe de personnalité des peines

Le Conseil retient que le principe de personnalité des peines peut faire l’objet d’adaptations, en dehors de la matière pénale, sous réserve que les adaptations soient justifiées par la nature de la sanction et par l’objet qu’elle poursuit, et qu’elles soient proportionnées à cet objet. Face à l’objectif de protection de l’ordre public économique que poursuit l’article L.442-6 du Code de commerce, le Conseil déclare l’adaptation valable en l’espèce.

- L’activité économique seule concernée

Le Conseil retient que l’auteur passible de l’amende est désigné à l’article L.442-6 du Code de commerce comme « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers ». Il en déduit que le législateur se réfère directement aux activités économiques, peu importe la forme juridique sous laquelle ces activités s’exercent. L’absorption ne mettant pas fin aux activités, l’amende civile est ainsi possible.

Autonomie de l’action du ministre de l’économie fondée sur l’article L. 442-6, III du Code de commerce

Pour rappel, l’article L. 442-6, III du Code de commerce réserve au ministre de l’économie la faculté de saisir le juge pour faire cesser des pratiques illicites relevant des pratiques restrictives de concurrence et prononcer des amendes civiles.

Sur le fondement de cet article, le ministre de l’économie avait assigné deux sociétés devant la justice consulaire dans l’objectif de faire prononcer la nullité de certaines clauses d’un contrat de distribution conclu avec une société tierce

Toutefois, ces deux sociétés soulevaient l’incompétence de la juridiction étatique en se fondant sur la clause compromissoire qui figurait dans le contrat de distribution.

Rejetant cet argument et suivant le raisonnement de la Cour d’appel, la Cour de cassation, dans un arrêt publié au Bulletin (Cass. civ. 1ère, 6 juillet 2016, pourvoi n° 15-21.811), énonce que l’action relevant de l’article L. 442-6, III du Code de commerce et réservée au ministre chargé de l’économie, gardien de l’ordre public économique pour la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence est « une action autonome » relevant des juridictions étatiques « au regard de sa nature et de son objet ».

La Cour de cassation précise enfin que « le ministre n’agissant ni comme partie au contrat ni sur le fondement de celui-ci », la convention d’arbitrage ne lui était donc pas applicable, seules les parties au contrat de distribution y étant soumises.

Cette solution interroge toutefois sur l’articulation qui serait faite en présence de deux actions fondées sur l’article L. 442-6 du Code de commerce, à savoir une action autonome du ministre devant la justice consulaire et une action d’une partie au contrat de distribution, qui, de ce fait, serait tenue par la convention d’arbitrage insérée au contrat.

La coopération commerciale fictive lourdement sanctionnée au visa de l’article L. 442-6 du Code de commerce

Dans deux décisions du 29 juin 2016, la Cour d’appel de Paris a sanctionné deux acteurs de la grande distribution pour coopération commerciale fictive, rappelant le principe fixé à l’article L. 442-6, III alinéa 2 in fine du Code de commerce selon lequel pour exiger une rémunération au titre d’un service de coopération commerciale, le distributeur « doit justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation ». En d’autres termes, le distributeur doit apporter la preuve qu’il a bien rendu le service de coopération commerciale au fournisseur.

- Dans un premier arrêt (n° RG : 14/02306), une société fournissait ses produits à un distributeur avec lequel il avait conclu plusieurs contrats de coopération commerciale. Le fournisseur a toutefois assigné le distributeur en répétition de l’indu, arguant de fausse coopération commerciale.

La Cour condamne le distributeur à restituer les sommes versées au titre de l’accomplissement de services de coopération commerciale par le distributeur aux motifs que :
  o Le distributeur n’a pas justifié de la spécificité des services rendus au titre de la coopération commerciale qui se différencieraient de l’opération d’achat-vente et qui pourraient alors être qualifiés de services de coopération commerciale ;

  o Le distributeur n’a pas démontré la réalité de ces services, à savoir que des prestations aient effectivement été réalisées par le distributeur.

- Dans un deuxième arrêt (n° RG : 14/09786), le ministre de l’économie a engagé la responsabilité de la société Système U Centrale Nationale en raison de sa pratique consistant à avoir facturé à quatre de ses fournisseurs un service fictif de coopération commerciale.

Rappelant le principe selon lequel « le service qui donne lieu à rémunération dans le cadre d’une convention de coopération commerciale doit être spécifique en ce qu’il donne droit à un avantage particulier au fournisseur en stimulant, facilitant la revente par celui-ci de ses produits, que ce service doit par conséquent aller au-delà des simples obligations résultant d’achats et de vente », la Cour considère que le service de coopération commerciale en cause n’était pas précisément défini et qu’en réalité il ne correspondait à rien, de sorte qu’il s’analysait comme étant un service de coopération commerciale fictif.

Dès lors, la Cour a confirmé la décision de première instance, condamnant notamment la société Système U Centrale Nationale au paiement d’une amende civile de 100.000€ et à la répétition de l’indu à hauteur de près de 77 millions d’euros.

A date, la société Système U Centrale Nationale a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.

Cynthia Picart, Avocat au Barreau de Paris / Associé Fondateur